Le Vatican à La Havane
ET DIEU EST ENTRÉ À LA HAVANE (Y Dios entro
en La Habana) de Manuel Vazquez Montalban. Traduit de l'espagnol par
Monique Beguin-Clerc et Jean-Pierre Clerc, Seuil, 576 p., 150 F (22,87 EURO
).
Depuis quelque temps, Vazquez Montalban (ses personnages Pepe Carvalho et
Biscuter ayant pris leur retraite) se place sur un terrain indécis entre
l'histoire immédiate, le journalisme d'investigation, le reportage, la
narration de fables réalistes et l'essai politique, qu'il n'a jamais cessé de
pratiquer. Dans Et Dieu est entré à La Havane, en plus d'analyser
la rencontre historique entre deux "atlantes" que l'on aurait cru
opposés, il passe en revue le cheminement parfois chaotique (Vazquez Montalban
ne se prive pas de l'écrire) de la dernière révolution prétendument marxiste
de notre époque.
En bon gastronome, l'auteur se réfère souvent à la métaphore de l'ajiaco.
Ce plat national, qui mélange divers légumes, plusieurs épices exotiques et
toutes sortes de fruits tropicaux, lui sert à expliquer la complexité de la
situation politique et sociale de l'île, immédiatement avant et pendant la
visite du chef de l'Eglise catholique à Cuba.
Ce livre est donc un reportage, une chronique et un recueil d'entretiens.
Avec ces ingrédients et une écriture tantôt directe, tantôt très élaborée,
Vazquez Montalban construit une fresque des courants multiples qui façonnent la
réalité cubaine après quarante ans d'une révolution qu'il n'approuve pas
totalement, mais à laquelle il n'est pas hostile.
Il y a quand même deux grands absents dans l'éventail des interviewés
rencontrés à Miami, en Espagne et tout au long des visites répétées dans l'île :
apparemment ni Dieu, même pas à travers son représentant officiel sur terre,
ni le Lider Maximo n'ont pu être approchés par l'auteur. Mais tous les deux
sont omniprésents.
Dieu est entré à La Havane il y a un peu plus d'un an. Jusqu'alors la
religion était à Cuba l'opium du peuple. Mais depuis, les discours des deux
parties tendent à se rapprocher. Le mur de Berlin abattu et les régimes
socialistes bannis, ni Cuba ni la théologie de la libération ne constituent de
véritables dangers pour l'Eglise catholique. Elle peut critiquer le capitalisme
féroce et prêcher la justice sociale, pourvu qu'on ne prône pas l'avortement
et l'usage du préservatif.
Un échange de lettres avec le sous-commandant Marcos clôt ce livre. Les
lettres abordent notamment les problèmes de la mondialisation et de la pensée
unique. Vazquez Montalban, qui se proclame nihiliste actif, déguisé, pour le
meilleur ou pour le pire, en socialiste scientifique, trouve peut-être dans le
soulèvement zapatiste de nouvelles raisons d'espérer..
A peine le pape parti, Fidel est retourné à la quotidienneté révolutionnaire,
qui consiste, en grande partie, à tirer sur le mors pour que la cavalerie de
l'ouverture ne s'emballe pas. En juillet 1993, il avait juré de ne jamais
pousser à une perestroïka. "C'est son style - conclut Vazquez
Montalban - : envelopper les réformes dans le langage de la contre-réforme.
Tout en repoussant verbalement toute velléité d'ouverture, il accepte en réalité
des réformes qui, à la longue, seront capitales. De temps à autre, il donne
un coup de frein à la jineteria, à l'emballement de la prostitution ;
mais les portiers des établissements contrôlés, et parfois fermés, disent
aux touristes frustrés : "T'inquiète pas, chef, ici tout est
dialectique"."
Ramon Chao
Le Monde daté du 4.5.2001
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