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 Joli imprévu ce mercredi avec un film qui n'est pas celui qu'on attendait. La biographie filmée de l'écrivain cubain Reinaldo Arenas prend à revers tous les canons de l'hagiographie. Réalisée par le peintre new-yorkais Julian Schnabel, Avant la nuit est une œuvre libre et forte construite autour du travail magnifique de l'acteur espagnol Javier Bardem.
 
 

 
Javier Bardem, un comédien sans illusions, au jeu sans retenue

Portrait de cet acteur espagnol qui incarne l'écrivain cubain Reinaldo Arenas dans le film de Julian Schnabel, Avant la nuit.


 

Il faudra attendre l'édition en DVD d'Avant la nuit pour se livrer à cette expérience : visionner à la suite la scène tournée au bord de la mer pendant laquelle Reinaldo Arenas rencontre et se dispute pour la première fois avec son compagnon, Lazaro Gomez Carilles, puis les derniers moments du film qui montrent les mêmes personnages séparés par la mort d'Arenas, victime du sida.

Si l'on arrive à faire abstraction de la force des émotions, on reste avec son ébahissement devant le travail d'un acteur : sur sa plage cubaine, Javier Bardem est un jeune homme à peine sorti de l'enfance, qui apprend à son corps la chorégraphie de la folle perdue, tout en mouvements du poignet et en jets de la tête en arrière, mélange de défi et de timidité vrai et drôle ; dans son appartement new-yorkais, ce corps est presque déserté par la vie, qui ne le parcourt plus que de quelques étincelles, Javier Bardem est malade, il est vieux, il est mourant, il est à peine maquillé.

Dans le grand bêtisier des Oscars, on mettra probablement en bonne place ce vote de 2001 qui a vu les membres de la Motion Pictures Academy préférer Russell Crowe en jupette (dans Gladiator) à Javier Bardem. Au moins, les jurés du Festival de Venise ont-ils eu la présence d'esprit de lui attribuer la coupe Volpi du meilleur interprète.

Pourtant, le comédien espagnol Javier Bardem ne devait pas jouer Reinaldo Arenas. Initialement, le peintre Julian Schnabel, réalisateur occasionnel, lui avait proposé le rôle de Gomez Carilles. "J'étais réticent à l'idée que le film soit tourné en anglais" (langue que l'acteur, qui avait jusqu'alors joué uniquement en Espagne, maîtrisait mal), explique Bardem. "En plus j'estimais que cette histoire devait être tournée par un cinéaste cubain avec des comédiens cubains." Avant de se décider à accepter le rôle de l'écrivain homosexuel et dissident Reinaldo Arenas, Javier Bardem est parti pour Cuba afin de rencontrer des contemporains d'Arenas.

INQUIET ET DÉÇU

Rejeton d'une famille d'artistes à la longue histoire d'opposition au franquisme (son oncle, le réalisateur Juan Antonio Bardem a été emprisonné cinq ans sous la dictature), lui-même militant communiste depuis dix ans, l'acteur s'est rendu à l'évidence : "Aujourd'hui La Havane est comme au temps de Batista, les jeunes filles se vendent pour un morceau de pain." Lors de la première d'Avant la nuit, Javier Bardem s'est senti légitimé par l'accolade que lui a donnée son oncle, Juan Antonio.

Aujourd'hui, on sent l'acteur vaguement inquiet et déçu sur la suite des événements. "Je pensais qu'on me proposerait plus de rôles, plus variés. Mais ce sont toujours les mêmes personnages de latin lover. Depuis Avant la nuit j'ai simplement tourné The Dancer Upstairs." Dans ce film, premier long métrage de John Malkovich, Bardem interprète, en anglais, un policier sud-américain lancé à la poursuite d'un guérillero, une situation inspirée de la traque d'Abimaël Guzman, le chef du Sentier lumineux péruvien. De son acteur, John Malkovich a dit au New York Times : "Il peut tout jouer (...), mais il y a en lui une espèce de terrible chagrin."

Javier Bardem reconnaît son attirance pour le côté physique du métier d'acteur, comme le défi que lui avait imposé Pedro Almodovar pour En chair et en os, dans lequel il incarnait un policier cloué dans une chaise roulante. Il fut également un héroïnomane impressionnant dans Dias Contados, d'Imanol Uribe. Il admet avoir un penchant pour la manière américaine de faire l'acteur : "J'ai grandi en regardant Al Pacino ou Marlon Brando." Mais lorsque la presse espagnole, émue par sa nomination à l'Oscar, a vu en lui un "nouvel Antonio Banderas", lui promettant une carrière hollywoodienne, Javier Bardem a simplement trouvé la formule "peu respectueuse pour Antonio : s'il y a besoin d'un nouveau Banderas, ça veut dire que l'ancien est fini, et ce n'est pas le cas".

La plupart de ses quinze films ont été tournés en Espagne, il se flatte d'avoir refusé plus de rôles qu'il n'en a joués et est prêt à maintenir cette attitude, même si elle lui promet, pour l'instant, quelques semaines, voire quelques mois, d'inactivité. "Je ne suis pas très ambitieux, dit-il. Je trouve que 95 % des films sont inintéressants." Et quand on lui demande si cette statistique s'applique à sa filmographie, il répond : "J'ai eu des moments intéressants, ce que beaucoup d'acteurs n'ont jamais eu. Mais je n'ai toujours pas tourné Apocalypse Now ou Le Parrain."

Thomas Sotinel

Le Monde daté du mercredi 13 juin 2001 


 
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Voir également :

Sur l'homme et l'oeuvre :

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Before Night Falls (Avant la nuit)

Le site officiel (en anglais et en espagnol) de ce film américain de Julian Schnabel (Films sans Frontières)