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Avant la nuit et Reinaldo Arenas |
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On ne dira jamais assez tout ce que le cinéma a fait pour la connaissance de Cuba. Il a fallu Fresa y chocolate pour que le public européen et américain découvre ce que pouvait être la vie quotidienne d'un intellectuel à Cuba. Il a fallu Wim Wenders pour que l'on s'aperçoive que la musique cubaine ne servait pas qu'à faire danser dans les discothèques. Il y a eu aussi le très intéressant Cuba feliz, malheureusement passé presque inaperçu. Et maintenant, grâce à Julian Schnabel, le grand public va découvrir un grand écrivain cubain. Comme dans le cas de Fresa y chocolate, c'est à travers sa mise en images qu'est révélée une oeuvre littéraire jusqu'ici connue seulement par un cercle de spécialistes. Même si une adaptation cinématographique est presque toujours réductrice, on se réjouira de cet élan nouveau donné à un texte et à son auteur par un support qui a la faculté de toucher un public aussi nombreux et varié que celui du cinéma. |
L'homme :
Télérama, 14 juin 2001 |
L'oeuvre :
Télérama : En faisant ce film, vous vouliez aider à faire
connaître l'oeuvre d'Arenas ? |
Le film :
Peu après sa naissance, le 16 juillet 1943 à Cuba, Reinaldo Arenas est abandonné par son père. Il part vivre avec sa mère à la campagne, dans la ferme de ses grands-parents. En 1958, toute la famille déménage à Holguin. Bien qu'encore adolescent, Reinaldo rejoint Castro et ses troupes, partis renverser le dictateur Fulgencio Batista. Grâce au triomphe de la Révolution, Reinaldo participe à l'ambitieux programme d'éducation de la jeunesse du nouveau gouvernement cubain. En 1962, Reinaldo entre à l'université de La Havane. Alors qu'une révolution sexuelle se profile, il rencontre Pepe Malas qui l'introduit dans le milieu homosexuel. A l'âge de 20 ans, il écrit son premier roman, Celestino antes del alba, récompensé par le deuxième prix lors du concours national Cirilo Villaverde. Quand la révolution culturelle passe en phase répressive, Arenas voit les écrivains renoncer à leurs écrits et les homosexuels, déclarés "déviants", envoyés dans des camps de travaux forcés. Malgré l'étau qui se resserre, Reinaldo continue d'écrire. Son second roman Un Monde Hallucinant passe clandestinement la frontière cubaine et est publié en France. La guerre est ouverte avec le gouvernement de Castro. Il est alors sujet à de continuelles persécutions. La police confisque ses ouvrages et menace ses amis. En 1973, il est accusé à tort d'attentat à la pudeur et se fait arrêter. Il s'échappe, se fait reprendre et est alors conduit au tristement célèbre pénitentier d'El Morro. Il tente de faire sortir clandestinement ses écrits de prison, mais ses lettres sont interceptées... http://www.lemonde.fr/ > Sortir > Cinéma
La voix off parle anglais, avec un accent espagnol. La caméra virevolte et s'élève, ne se prive d'aucun effet. Le lyrisme des éléments (l'eau, la glaise, la lumière, le ciel) rime avec celui des mots. Narcissisme et filmage à l'estomac semblent d'emblée menacer le film. L'histoire raconte la petite enfance misérable d'un gamin de la province d'Oriente, à Cuba, dans les années 1940, dont son institutrice dit qu'il possède "un don spécial pour la poésie". Ces procédés de réalisation, et d'autres à venir, sont en réalité des explosifs. Pour faire sauter la double muraille qui menace d'enserrer le projet d'Avant la nuit. Si on ajoute "Une histoire vraie et exemplaire contre la dictature" et "le récit filmé de la vie d'un artiste", on peut s'attendre à une illustration ampoulée et bien-pensante. Julian Schnabel, peintre piqué par le démon du cinéma, était déjà l'auteur d'une remarquable évocation d'un destin d'artiste, Basquiat (1996), dont la force tenait à la construction du mystère de l'activité créative par l'assemblage d'éléments "typiques", voire folkloriques de l'existence si conforme aux clichés romantiques du peintre haïtien qui vivait à New York. Le réalisateur adopte cette fois une approche de même nature, mais qui prendra d'autres formes, pour évoquer la vie de Reinaldo Arenas, écrivain cubain maltraité par le régime castriste pour son œuvre en rupture avec les canons de la littérature prolétarienne comme pour son homosexualité. Seul son premier livre, Le Puits(1964), fut édité dans son pays. Le Monde hallucinant, Arturo, l'étoile la plus brillante, La Plantation, Encore une fois la mer (traduits en France au Seuil) seront censurés, ou sortiront clandestinement du pays. Interdit de publication, surveillé, plusieurs fois arrêté, victime de mauvais traitements dans les culs-de-basse-fosse du rêve cubain devenu cauchemar, Arenas fera partie des "Marielitos", ces indésirables que Fidel laissera partir en 1980 aux Etats-Unis. Malade du sida, l'écrivain se suicidera à New York dix ans plus tard, après avoir fait paraître son autobiographie, déjà intitulée Avant la nuit (Actes Sud). UNE DÉTERMINATION IRONIQUE Porté par Javier Bardem déployant un charme superficiellement mollasson, où affleure une détermination ironique qui tient de la prédestination et de la volonté inébranlable, du fatalisme et du courage entrelacés, le film est d'abord d'une grande présence physique. Celle-ci advient par l'assemblage de notations sensuelles, hétéroclites, et grâce à un montage qui sait accélérer soudain lorsqu'on s'attend à un développement, sauter des scènes importantes, s'attarder au contraire sur des péripéties secondaires, mais qu'une sensation ou un sentiment imprègnent. Au bord de la mer en train de lire, courant, terrorisé, en maillot de bain, assistant à une improbable fête de travestis au sein même du bagne pour homosexuels, travaillant, rêvant, s'autoparodiant, Reinaldo, porté par le flux de ses propres mots, est comme diffracté, éclaté, insaisissable. Après plus d'une demi-heure d'un film qui inquiète dès qu'il décrit trop, surprend par ses changements de ton, menace de s'enliser dans les affèteries de style, apparait une séquence entre terreur et grotesque, entre feu et nuit, gays dandys et compañeros militaires, qui signe définitivement la réussite de ce projet baroque. On comprend alors que cette manière d'évoquer Arenas était la seule qui rende justice à l'homme et à l'écrivain. L'enfermer dans un statut (homosexuel, artiste, victime, héros) aurait été lui appliquer - fût-ce en inversant les signes - le même traitement que celui infligé par le régime cubain. Ajoutant sans cesse des éléments hétérogènes, rêves, chansons, gags, citations, archives, Schnabel accomplit ce geste magnifique, et qui fait la réussite, l'émotion et la dignité d'Avant la nuit : il rend sa liberté à son personnage. Aucune définition ne l'enferme, aucune clé n'explique sa vie, ni d'ailleurs sa mort - en quoi le cinéaste est moins explicite qu'Arenas lui-même, qui dans sa dernière lettre à ses amis, Cuba sera libre, désignait Fidel Castro comme unique coupable de ses malheurs et de sa fin. Mais Schnabel ne pouvait, lui qui n'a pas vécu la même histoire, proférer les mêmes mots sans transformer en rhétorique le cri d'un vivant. DUOS MULTIPLES Toutes les composantes de la biographie d'Arenas, celles qui se rattachent à l'histoire du siècle et celles qui appartiennent à l'histoire de la littérature contemporaine, deviennent des fragments d'autant plus intenses qu'ils ne sont pas réduits à un sens univoque. La mise en scène y parvient d'autant mieux qu'elle recourt systématiquement au plus simple et au plus pertinent des moyens narratifs : alors que son personnage se serait figé d'être isolé dans son martyre et dans sa gloire, elle ne le laisse jamais solitaire. Figure centrale, son indépendance se nourrit de la multiplicité des duos, aussi différents que possible, dans lesquels est successivement entraîné Arenas - avec sa mère rêvée, avec Sean Penn qui passait sur le chemin de la Révolution en charrette nonchalante, avec ses admirateurs exilés, avec ses amants successifs, dont le délicieux traître à la Cadillac blanche, avec Jose Lezama Lima, mentor esthète catholique qui lui fera lire la Bible, Proust et Kafka. Sans oublier Bonbon, la reine des travestis, qui quittera la prison avec, caché dans son rectum, tout un roman écrit derrière les barreaux, ni ce colonel de l'armée castriste d'une redoutable ambiguïté, tous deux interprétés par Johnny Depp en un jeu de dédoublement rieur et sinistre, directement inspiré des procédés littéraires d'Arenas lui-même. Duo avec Fidel Castro à distance, avec une plante verte à New York aussi bien. Il y a là bien davantage qu'une virtuosité d'écriture et d'assemblage : un sens des flux, un talent à les coordonner et à les laisser se perdre, une véritable réussite de cinéma. Jean-Michel Frodon Le Monde daté du mercredi 13 juin 2001
Avant la nuit «J'avais 2 ans. J'étais
nu, debout ; je me baissais vers le sol pour lécher la terre. »
Dès les premières lignes, Avant la nuit, le récit
autobiographique de Reinaldo
Arenas, témoigne d'un étonnant sens de l'image. Persécuté par le
régime castriste pour homosexualité, emprisonné puis poussé à
l'exil, l'écrivain, atteint par le sida, finira sa vie à New York, en
1990. Bernard Génin Télérama, jeudi 14 juin 2001 |
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