Reinaldo
Arenas
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La pissotière de Fidel Castro
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par André Clavel
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A Cuba, on traque les
homosexuels. Reinaldo Arenas, avant de se suicider, l'a vécu dans sa
chair. Dans son roman testament, La Couleur de l'été, il règle
ses comptes avec le Lider maximo, qu'il accuse d'avoir fait de son île
un urinoir.
Lorsque Reinaldo Arenas s'est donné la mort - à New York, le 7 décembre
1990 - il savait qu'il était atteint du sida, mais il souffrait d'un
autre mal, que lui avait infligé le castrisme: l'exil. Cruellement déraciné,
il vivait aux Etats-Unis dans des conditions très précaires, alors
qu'on continuait à le censurer à La Havane. Aussi son suicide fut-il mûrement
réfléchi. Par dignité et par refus de la déchéance. Avant de
disparaître, le dissident cubain avait pris le temps de mettre un point
final à son œuvre. En terminant son autobiographie et, surtout, en
posant les dernières pierres de La Couleur de l'été,
testament romanesque qui est le douloureux bilan d'une existence
confisquée.
Parce qu'il refusait de cacher son homosexualité, qu'il avait le culot
de publier ses livres à l'étranger et qu'il pourfendait un régime de
plus en plus autocratique, l'auteur de La Plantation était la
bête noire de Fidel Castro. Lequel ne cessa de le surveiller, de
l'humilier, avant de l'expédier en prison et dans un camp de travail réservé
aux «déviants». Jusqu'en 1980, quand, en pleine nuit, Arenas a la
chance de pouvoir sauter dans un bateau qui le conduit en Floride avec
des milliers d'autres fugitifs. A Miami, puis à New York, il est désormais
libre de récrire les romans que la police cubaine a détruits, mais il
est confronté à une nouvelle marginalité dans une société dont il
ne partage pas les valeurs.
Lorsque le Lider maximo fête le 30e anniversaire de la révolution,
Arenas lui adresse une lettre ouverte pour exiger des élections démocratiques
sur son île natale, mais la maladie va bientôt le contraindre à déposer
les armes. «Ne pouvant plus continuer à lutter pour la liberté de
Cuba, écrira-t-il la veille de son suicide, je mets fin à mes jours.
Il y a un seul responsable: Fidel Castro. La souffrance, la solitude et
les maux que j'ai pu contracter en exil, je ne les aurais certainement
pas subis si j'avais connu la liberté dans mon pays.»
A son chevet, en hommage au baroque tropical et à tous les damnés de
la terre, Arenas laissait cette Couleur de l'été où la
fureur et la scatologie, la démesure et l'exubérance se conjuguent
dans le tohu-bohu d'une époustouflante orgie verbale. Nous sommes à La
Havane, pendant l'été 1999: écrasée sous la férule d'un despote
vieillissant - Fifo, alias Fidel Castro - la capitale cubaine vit les
dernières heures d'un gigantesque carnaval que la détresse collective
a transformé en danse macabre. Affublés de masques felliniens et de
sobriquets grotesques, des centaines de personnages défilent,
pirouettent, vocifèrent, trépignent en racontant l'histoire tragique
d'une île bâillonnée, réduite à «une énorme pissotière».
Une parabole extravagante
Passant de la politique-fiction à l'imprécation et à l'exorcisme,
Arenas brosse le portrait ubuesque d'une dictature moribonde, nous entraîne
dans les ténèbres des geôles castristes, rappelle le calvaire des
intellectuels persécutés, se met en scène sous les traits grimaçants
de la Lugubre Mouffette, exhibe son homosexualité avec une impudeur
outrancière. Et referme son réquisitoire sur une parabole
extravagante: il imagine que le peuple, métamorphosé en armée
sous-marine, ronge les fondations de l'île pour la libérer de ses chaînes
totalitaires. Jusqu'à l'explosion finale...
On pourrait difficilement concevoir roman plus désespéré, où l'obscénité
sert d'exutoire au malheur: si Arenas ne cesse de se vautrer dans la
fange, c'est qu'elle est la métaphore d'un régime qu'il juge ordurier.
Et qui l'a tué. Aussi La Couleur de l'été ressemble-t-il à une autoépitaphe:
l'ultime ricanement d'un proscrit, avant l'immolation.
La
Couleur de l'été, par Reinaldo Arenas. Trad. par Liliane
Hasson. Stock, 587 p., 150 F.
à lire
également
Chez Julliard, l'autobiographie d'Arenas: Avant la nuit.
Ses autres livres - romans ou nouvelles - ont été publiés au Seuil,
aux Presses de la Renaissance et au Serpent à plumes.
Article
paru dans l'Express du 03/10/1996
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