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La littérature cubaine d'aujourd'hui s'écrit en exil. Après
Severo Sarduy, Reinaldo Arenas et tant d'autres indésirables, Zoé
Valdés a été contrainte, elle aussi, de quitter La Havane. Mais
son cœur n'en est pas parti, même si elle vit à Paris et publie
ses romans à Barcelone. Des romans chevillés à son île natale,
comme cette Douleur du dollar, qui a dépassé les 160
000 exemplaires en Espagne. L'érotisme y est torride et la colère
y gronde, car c'est la lamentable histoire d'une révolution
trahie que retrace Zoé Valdés. Son héroïne, la Môme Cuca, est
une Cendrillon antillaise qui grandit dans la misère d'une
lointaine cambrousse et décide, à 16 ans, de trimbaler son joli
sourire Colgate jusqu'à La Havane, la ville sucrée aux nuits
langoureuses: elle s'y nourrit d'illusions et, le temps d'un long
baiser, s'entiche d'un marlou brillantiné qui lui fait un enfant.
Puis s'empresse de l'abandonner en lui laissant un billet d'un
dollar...
Pour se consoler, la Môme Cuca deviendra une pasionaria du
castrisme naissant, boira à grandes gorgées l'eau croupie de la
propagande communiste, assistera à la soviétisation de l'île:
mais cette Mère Courage finira par découvrir les funestes
coulisses du paradis rouge. La révolution? «Une destruction
implacable», dira- t-elle avant de dresser l'inventaire d'un
monde ravagé par «les griffes de la démence». A travers sa
confession - qui s'arrête au mitan des années 90 - l'auteur du Néant
quotidien raconte le naufrage d'une génération sacrifiée. Entre
fusillades et carnavals, rires et larmes, dans une ville aimée,
tragiquement perdue.
La gouaille populiste de Zoé Valdés s'enlise parfois dans
d'inutiles méandres, mais elle n'a pas son pareil pour
ressusciter la douce nonchalance du temps jadis, quand La Havane
dansait le boléro à l'ombre des palmiers. Reste la nostalgie, et
ce roman-témoignage: une pavane pour une cité défunte.
La Douleur du dollar,
par Zoé Valdés. Trad. par Liliane Hasson. Actes Sud, 345 p., 128
F.
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