Enfoncée dans une crise sans fin |
Il y eut la chute de l’URSS, le client privilégié. Puis, plus récemment, la récession mondiale et le 11 septembre, qui toucha le tourisme. Bref, Cuba peine à s’en sortir. DE LA HAVANE
Dans une
large mesure, la crise actuelle est liée à des facteurs extérieurs. Alors même
que Cuba ne s’était toujours pas remise de la disparition du bloc
communiste, les attentats terroristes du 11 septembre ont eu des répercussions
directes sur la première source de devises de l’île : le tourisme. Ce
secteur a rapporté à l’économie nationale 2 milliards de dollars en 2000,
et les perspectives de croissance pour l’année dernière étaient de 7 %.
Or la croissance n’a finalement atteint que 1 % et, durant les quatre
premiers mois de 2002, elle a reculé de 15 %. Autre
effet négatif des attentats du 11 septembre : la hausse des prix du pétrole,
un phénomène dont l’économie cubaine a particulièrement souffert. Pour
l’achat de pétrole brut, Cuba dépense environ 1 milliard de dollars par
an, soit près du tiers des ressources dont elle dispose pour l’ensemble de
ses importations. Désireuse de compenser le coût additionnel, évalué à
plusieurs centaines de millions de dollars, La Havane a demandé à toutes les
entreprises d’Etat de réduire de 10 % leur consommation d’électricité.
Elle a par ailleurs ordonné de mettre en oeuvre une politique “zéro coût”,
ainsi qu’une réduction massive des importations. La crise
du pétrole s’est encore aggravée cette année du fait d’un conflit avec
la compagnie Petróleos de Venezuela (Pedevesa) : en raison d’impayés de
Cuba, elle a interrompu la livraison quotidienne de 53 000 barils de pétrole
brut - un tiers de la consommation cubaine -, qui lui étaient vendus à un
prix préférentiel. Le coup d’Etat manqué contre [le président vénézuélien]
Hugo Chávez a encore compliqué la situation : depuis mars dernier, La Havane
n’a plus reçu un seul baril en provenance de son voisin. Autre source
importante de revenus, elle aussi touchée indirectement par les attentats
contre les Twin Towers et la récession : les mandats postaux envoyés par les
Etasuniens d’origine cubaine. On estime qu’ils représentent entre 500
millions et 800 millions de dollars, sans doute le revenu net le plus
important du pays. L’année
dernière, les recettes des magasins en devises ont diminué de 10 à 20 %,
et les virements n’auraient pas dépassé les 500 millions de dollars. En
outre, le ralentissement de l’économie mondiale a fait chuter les prix
des produits qu’exporte traditionnellement Cuba, essentiellement le sucre
et le nickel. Résultat, alors même que Cuba a produit plus de sucre cette
année qu’en 2001, les recettes seront moindres de 120 millions de
dollars. Outre
ces facteurs extérieurs, il faut tenir compte de l’inefficacité des
entreprises d’Etat, ainsi que d’autres variables intérieures, qui se
sont traduites par une augmentation sensible de l’inflation et par la
hausse des prix sur les marchés agricoles. Pour couronner le tout, il faut
ajouter deux handicaps que Cuba traîne depuis plusieurs années : sa
difficulté à accéder aux crédits internationaux à moyen et long terme -
La Havane s’est vu récemment suspendre ses principales lignes de crédit
avec l’Espagne, la France et l’Italie, en raison de ses défauts de
paiement réitérés - et la rareté des devises en espèces, qui oblige les
autorités à faire quasi quotidiennement la tournée des équipements
touristiques et des bureaux de change pour pouvoir faire face, tant bien que
mal, à ses obligations internationales. Deux
mesures récemment adoptées par le gouvernement en disent long sur la
gravité de la crise. La première, la hausse des prix des produits en
dollars, a pour objectif de récupérer l’argent qui dort sous les
matelas, l’économie cubaine étant actuellement asphyxiée par un manque
de liquidités. Cette augmentation, qui sera de l’ordre de 10 à 30 %, a
provoqué un tollé dans la population, dont le salaire moyen quotidien, en
pesos cubains, est équivalent à environ 7,6 dollars au cours officiel.
Bien que seuls 60 % des Cubains aient directement accès aux dollars, et en
très petites quantités pour la plupart, l’Etat alloue 19 dollars par
mois à 1 million d’ouvriers, certains produits de base comme le jambon ou
l’huile ne se trouvant que dans les magasins en devises. La seconde
mesure, qui vise à reconvertir l’industrie sucrière, aura un impact
social considérable. Sur les 156 sucreries que compte l’île, 71 ont
fermé définitivement durant les premiers mois de l’année et au moins
100 000 travailleurs, soit 2,5 % de la population active, vont devoir être
affectés à un nouvel emploi qui n’existe pas encore. Mauricio
Vicent |