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Origen

Raúl Rivero, opposant de l’intérieur

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Raúl Rivero est né à Morón (province de Camagüey) en 1945. Après ses études de journaliste à l'Université de La Havane, il fera partie pendant longtemps de ces intellectuels qui, comme Guillermo Cabrera Infante, Heberto Padilla ou Jesús Díaz, croient en Fidel Castro. Il entre à Cuba Intemacional revue de l'agence officielle cubaine Prensa Latina, où il travaille au service international, ce qui lui vaudra d’être nommé correspondant à Moscou de 1973 à 1976. De retour à Cuba, il a accès aux revues culturelles, comme Bohemia, Prisma ou la Gaceta de Cuba, grâce à la protection du poète officiel Nicolás Guillén, président de l'UNEAC (Union des écrivains et artistes cubains), organe suprême chargé de veiller sur la vie culturelle cubaine et auquel Raúl Rivero a adhéré. .II publiera sept livres de poésie et trois de reportages. Ses articles sont alors largement diffusés dans les plus importants médias de son pays, mais également en Amérique et en Europe. En 1967, il reçoit le prix David pour son recueil de poèmes Papel de hombre (Rôle d'homme) et en 1969 le prix Julián del Casal pour Poesía sobre la tierra {Poésie sur la terre), tous deux décernés par l'UNEAC. Il se voit également récompensé par des prix décernés en Espagne ou au Mexique.

Sa rupture progressive avec le régime, date de la fin des années 1980. En 1989, il quitte l’UNEAC et signe, en juin 1991, la Lettre des Dix (lettre ouverte adressée par un groupe d'intellectuels au gouvernement cubain pour demander des réformes économiques, des élections libres, la libération des prisonniers politiques et la liberté de la presse pour les Cubains), et est depuis lors frappé d'ostracisme. En 1992, avec trois autres journalistes, journalistes Yndamiro Restano, Nestor Baguer et Rafael Solano, il fonde le Club de la presse de Cuba, pays où, selon Rivero, « il n’y a pas de liberté de la presse. Pis encore : il n’y a pas de presse. Sous forme de journaux, de revues, d’émissions de radio et de télé circule une vision de la vie que l’Etat veut imposer à la population». En septembre 1995, il fonde la petite agence indépendante, Cuba Press, qui est aujourd'hui la plus importante des agences de presse indépendantes et compte une vingtaine de journalistes dont les informations sont envoyées à Miami et retransmises sur Internet. Raúl Rivero était également correspondant du prestigieux « Nuevo Herald », quotidien en espagnol de Miami, ville où résident près d’un million de Cubains.

Raul Rivero a écrit un livre de chroniques sur le Cuba des années quatre-vingt-dix, Pruebas de contacto (Planches-contacts), qui reste encore inédit. En 1997 il a reçu le prix international de Reporters sans Frontières pour son travail comme directeur de l'agence indépendante et son attitude en faveur en de la liberté de la presse. Il patronne actuellement la Fondation cubaine de Madrid. Depuis le mois de mai 2001, il faisait partie de la Société de Journalistes «Manuel Marquez Sterling», qui s’est donnée pour mission la promotion de la liberté d’expression et d’information, ainsi que la formation professionnelle de journalistes cubains.

D’après ses derniers témoignages, la répression contre la presse indépendante et les opposants s’était renforcée et était devenue plus sélective : « Ils ne te convoquent pas et ne te donnent pas de correction. Il ne te flinguent pas et ne te passent pas à tabac. Ils essaient de te déstabiliser, de t’humilier et de te déconsidérer. Ils t’accusent de vol, de trafic ou même ils te font passer pour un collaborateur du régime ».

Suite de la mort.

On vient de m’aviser que je suis mort.

La presse officielle l’a annoncé entre les lignes.

Je ne m’attendais pas à mourir par ce bel été

De fin de siècle

Mais les journaux de mon pays ne mentent jamais

Et donc ce battement de mon cœur est faux

Et ces pulsations et cet air que je respire.

Les souvenirs que j’ai sont, doivent être,

Le délire de la fin puisque l’Etat

Ne peut se tromper de façon si flagrante.

Je suis mort.

Et même si j’ai soif, même si je suis triste,

Je commence à mon tour à l’admettre.

Moi qui aime encore, qui m’étonne et qui ai peur,

J’apprends à mourir par décret.

Lentement, docilement, discrètement, sans un geste de colère

Je me mets à ressembler à mon cadavre.

Pour accomplir les ordres avec rigueur

Et ne pas troubler la joie de mes bourreaux

Je me conforme à la règle et j’étouffe

Les signes de vie qui persistent,

Car quand on a toujours suivi comme un mouton

Le même tintement de la même cloche

Et la même voix du même berger

On doit être prêt à mourir

A la seule vue du couteau.

Malgré menaces et arrestations, il a toujours refusé un visa de sortie définitive, le seul que lui a offert plusieurs fois le dernier régime communiste du monde occidental. « Pour moi, dit-il, partir serait la solution de facilité. Le plus dur, c'est de rester ici. ».

Mauvais rêves.

Je suis un fauteur de tachycardie.

Quelqu’un qui ne veut pas partir,

Quelqu’un qui ne veut pas rester.

Quelqu’un que l’on reçoit avec joie le premier soir

Avec réticence le deuxième

Et que l’on expulse le troisième.

Je suis un personnage triste qui pleure sur le papier

Ou sur une épaule de passage.

Je suis un désastre comme mon passé

Un mauvais rêve comme mon avenir

Et une catastrophe comme mon présent.

Tel que vous me voyez, je suis un poète

Qui cristallise en lui la débâcle de son époque

De son pays et de sa vie.

Eduardo Manet commente : «Raul Rivero est devenu pour nous, écrivains, intellectuels et journalistes de l’Europe démocratique, l’homme que nous aimons admirer. Un exemple de conscience professionnelle exceptionnelle. Une personne à qui l’idée de quitter son pays d’origine est insupportable».

Patrie

Ma patrie tu me faisais mal

comme un baiser et une blessure

et comme eux cette douleur était

douce et profonde

insupportable et tendre.

Pour sa part, Rivero expliquait : « Pendant des années, j’ai collaboré à la presse officielle. J’éprouve parfois un sentiment de culpabilité d’avoir participé à un mensonge... Le fait d’avoir contribué à ce mensonge me fait rester à Cuba».

Questions.

Pourquoi, Adélaïde, me faut-il mourir

Dans cette jungle

Où j’ai moi-même nourri

Les bêtes sauvages

Où je peux entendre aussi ma voix

Dans l’épouvantable concert de la rue.

De ce fait, il reste le seul signataire de la « Lettre des Dix » à être demeuré à Cuba. Sa liberté de circuler fut alors restreinte, il fut séquestré et menacé à plusieurs reprises, sa famille intimidée et ses documents confisqués. Appelé en 1999 à recevoir un prix spécial de l’Université Columbia, aux Etats-Unis, Raúl Rivero se voit invité à l’exil. «Le gouvernement m’a souvent proposé un aller simple pour l’étranger, mais j’estime que ma place est ici. Je suis avant tout un professionnel de l’information. C’est ici à Cuba que je veux continuer à faire mon travail.» A Cuba, « dans l’espace qui existe entre partir et revenir, il faut fonder la permanence, parce que rester sera toujours un antidote contre le désenchantement et un venin contre l’oubli », ajoute-t-il.

Cellule cinq.

Ils ne t’ont pas vu traverser

Les grilles avec moi.

Le tintement des clefs

Qui usurpait ta musique

N’en a pas altéré la cadence

Par son tempo lugubre.

Ici où nous avons dormi

Silencieux et nobles

Punis et indifférents

Dans l’ombre les nôtres sont là

Tu es toujours invisible

Messagère et message.

Emotion de ta présence.

C’est dimanche sur la terre

Je suis prisonnier

Et toi personne ne te voit

Nul ne sait qui tu es

Douce, légère et sereine

Prisonnière de l’air.

Il continua donc avec acharnement d'écrire, dans des conditions souvent précaires et avec des moyens techniques très limités, ses chroniques de la vie quotidienne et ses poèmes dans son appartement de Centro Habana, à La Havane jusqu’à son arrestation le 20 mars 2003 et sa condamnation à vingt ans de prison le 7 avril pour « avoir réalisé des activités subversives visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de Cuba ».

Dans un de ses poèmes, « Socialisme réel », il écrivait :

Ce qui est effrayant dans cette histoire,

N’est pas que j’aie voulu

Jadis donner ma vie

Mais bien qu’aujourd’hui

Ils veulent me l’ôter.

Leçon de courage et de dignité, l’œuvre de Rivero est aussi porteuse d’espoir, comme dans le très beau « On frappera à ta porte » :

Quand tu penseras que ton cœur va s’arrêter

Quand tu ne trouveras plus trace d’espoir dans ta mémoire

On frappera à ta porte, on frappera toujours à ta porte.

Quand tu seras abattu, paralysé par l’attente nocturne

Presque sûr que tout est définitivement terminé

Quelqu’un frappera à ta porte

Quelqu’un te donnera le mot de passe.

Quand ils t’auront torturé

Quand ils t’auront arraché de chez toi et battu

Quand tu n’auras plus devant les yeux

Que l’ombre de tes bourreaux et ton sang,

Ne doute pas, le message est proche,

Quelqu’un te donnera à boire de l’eau fraîche

Quelqu’un soignera tes blessures

Quelqu’un recueillera ton sang et ton drapeau.

Quand tes rêves te sembleront très loin,

Impossibles à atteindre

Prête attention au vent

Et écoute-les venir, bruit pur et éternel.

Raúl Rivero a publié Papel de hombre (Rôle d'homme. La Havane, 1969), Poesía sobre la tierra (Poésie sur la terre. La Havane, 1972), Corazón que ofrecer (Cœur à offrir, La Havane, 1980), Cierta poesía (Certaine poésie. La Havane, 1981), Poesía pública (Poésie publique. La Havane, 1984), Escribo de memoria (J'écris de mémoire. La Havane, 1985), Firmado en La Habana (Signé à La Havane, Miami, 1996, édition française : Reporters sans Frontières/La Découverte, 1997). II est l'auteur du livre de reportages La nieve vencida (La Neige vaincue, La Havane, 1980) et du recueil de poèmes inédit Puente de guitarra (Chevalet de guitare).

Douleur et pardon.

J’ai maintenant l’intention de tout pardonner

Pour rendre propre mon cœur las

Seulement enclin à la fatigue de l’amour.

C’est pourquoi les responsables directs de mes colères,

Les laborieux artisans de mes peines,

Seront innocents lorsque j’aurai achevé ce poème.

Je n’ai plus rien contre ceux qui ont usé ma vie

- Ma pauvre et unique vie passagère -

Pour atteindre la gloire et habiter leur vaine géographie.