Oswaldo Paya |
Oswaldo Paya Sardiñas vel Observateur N° 1983 Il vient d’obtenir le prix Sakharov 2002 Cuba: pour en finir avec la peur Fidel Castro ne changera jamais. Ce n’est pas une raison pour s’en remettre à la «fatalité biologique»avant de prendre des initiatives
Le prix Sakharov pour la liberté d’expression, décerné par le Parlement européen, a été attribué pour 2002 au dissident cubain Oswaldo Paya Sardiñas. Président du Mouvement chrétien de Libération, cet ingénieur de 50 ans a été à l’origine du projet Varela, une pétition appelant à l’organisation d’un référendum sur la tenue d’élections libres, qui a obtenu la signature de 11 020 cubains. Déjà salué en septembre par le prix Averell-Harriman, Oswaldo Paya n’a pu se rendre aux Etats-Unis pour recevoir sa récompense: le visa de sortie du territoire cubain lui a été refusé. Obtiendra-t-il l’autorisation de se rendre à Strasbourg pour recevoir, le 18 décembre, les 50 000 euros du prix Sakharov? En attendant le verdict des autorités, Oswaldo Paya a raconté son combat et confié ses espoirs à notre envoyée spéciale à Cuba, Catherine David. Nous avons commencé à récolter les signatures pour le projet Varela en 1999. Déjà, en 1996, nous avions lancé une initiative analogue. Les agents de la sécurité de l’Etat ont débarqué chez moi. Ils ont déchiré la liste des signataires, vidé les armoires, renversé les lits, maculé les murs d’inscriptions injurieuses: «paya gusano» (ver de terre), «Agent de la CIA»… Ma femme était enceinte à l’époque et mon fils de 3 ans, qui ne savait pas lire, demandait pourquoi on avait fait ça dans notre maison… Les autorités avaient installé un bureau de la police politique à quelques mètres de chez moi et tous les gens qui s’approchaient étaient interpellés dans la rue: «Attention, vous vous rendez dans la maison d’un contre-révolutionnaire…» C’était un siège permanent! Dans une société comme la nôtre, fondée sur une culture de la peur, ce n’est pas un acte anodin que de signer un texte comme le projet Varela, en spécifiant bien sûr son adresse et son numéro de carte d’identité. Malgré cela, le chiffre symbolique des 10 000 signatures a été atteint et dépassé. Et je peux vous dire que nous les avons vérifiées une à une, car nous nous sommes aperçus que les services de la sécurité de l’Etat, dans le but de discréditer le projet, y avaient glissé de fausses signatures de personnes décédées ou en exil. Le changement à Cuba doit être fait par les cubains eux-mêmes. Fidel Castro ne changera jamais ni ne fera d’ouverture. Ce n’est pas une raison, cependant, pour s’en remettre à la «fatalité biologique» avant de prendre des initiatives, comme trop de gens le pensent ici. Cette théorie de la fatalité biologique est une drogue faite pour endormir les consciences. Le peuple cubain doit prendre en main sa destinée dès maintenant, et obtenir soit que le régime cède, soit qu’il tombe. Nous ne nous cachons pas pour dire cela. Nous, les promoteurs du projet Varela, nous ne défendons ni le capitalisme ni le libéralisme, nous défendons des personnes, nous défendons une communauté humaine. Le peuple cubain est dans un grand désarroi, et une étape intermédiaire est indispensable avant les grands bouleversements inévitables du futur. Voilà un régime qui monopolise toutes les clés du pouvoir depuis plus de quarante ans, qui bafoue en permanence sa propre Constitution, qui ne respecte pas les lois qu’il instaure lui-même à sa guise. Le peuple cubain est entièrement dépossédé par un petit groupe de dirigeants qui contrôlent toute l’information et entretiennent d’excellentes relations avec les capitalistes étrangers. Accumulant tout le pouvoir, la nomenklatura cubaine a transformé les cubains en citoyens de deuxième zone grâce à un véritable apartheid. Si nous, les cubains, nous ne faisons pas ce travail préparatoire, si nous ne ménageons pas une transition démocratique, alors oui, notre île risque de tomber comme un fruit mûr dans les griffes du capitalisme mondial. Dans ces conditions, attendre la mort de Fidel Castro, ce serait attendre que la situation s’aggrave encore, ce serait faire la politique du pire. Nous ne voulons plus attendre. Beaucoup de gens continuent à parler de Cuba comme d’un pays gouverné par la gauche, comme d’une dictature de gauche. Mais Cuba n’est ni de gauche ni de droite, car les gens ici n’ont aucun droit. Souvent, ils pensent ne pas en avoir, vivant depuis si longtemps dans un système qui organise toute leur vie. Le projet Varela appelle à un référendum pour restituer au peuple cubain ses libertés fondamentales à travers cinq «propositions»: liberté d’expression, liberté d’association, amnistie pour les prisonniers politiques, liberté d’entreprendre, nouvelle loi électorale permettant plusieurs candidatures. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir de belles idées. Il s’agit de se mettre au travail, de se mettre en mouvement, de discuter, de dialoguer, d’impulser une grande mobilisation pacifique et civique. Grâce à notre expérience au sein du Mouvement chrétien de Libération, nous avons l’expérience du travail populaire, l’expérience du partage et l’habitude de diffuser des informations. Notre stratégie a toujours été de faire participer les cubains et les cubaines de la rue à toutes nos discussions et initiatives. Ainsi, peu à peu, nous espérons faire advenir une forme minimale de citoyenneté dans ce pays malade. Cette participation est indispensable pour que les serfs de Cuba deviennent des citoyens. Au cours de cette lutte obscure, j’aurai au moins compris une chose essentielle: le régime cubain a peur que les cubains n’aient plus peur. Il faut en finir avec la culture de la peur. Quand les gens sans pouvoir, les pauvres, les faibles perdent leur peur, ce sont les puissants qui commencent à trembler. Propos recueillis le 6 octobre 2002 à La Havane par Catherine David Oswaldo Paya Sardiñas Nouvel Observateur N° 1983 (novembre 2002) |