Cuba et Fidel Castro à bout de souffle
Depuis la chute du bloc soviétique en 1991, Fidel Castro cherche à rompre
l'isolement où le conduit inexorablement sa politique d'autarcie économique et
de répression politique. Après le pape Jean Paul II, en janvier 1998, c'est
l'ancien président américain Jimmy Carter (1976-1980), arrivé dimanche 12 mai
à La Havane, qui se prête à cette opération de communication et
d'ouverture en trompe-l'œil. Pourtant, au cours de ces dernières semaines,
Fidel Castro s'est lancé dans une stratégie agressive tous azimuts.
La charge la plus violente a visé le Mexique et son ministre des affaires étrangères,
Jorge G. Castaneda. Elle n'a été, en fait, que l'expression de la colère
d'un Fidel Castro qui a pris, dépité, la mesure de son isolement à l'occasion
du sommet de l'ONU sur la pauvreté à Monterrey (Mexique), en mars. Fidel
Castro ne fait plus recette, même en Amérique latine, et cette démonstration
cruelle lui a été administrée, le 19 avril à Genève, lors de la 58e
session de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, par l'adoption d'une
motion déposée et soutenue par les pays latino-américains demandant au haut
commissaire, Mary Robinson, l'envoi d'un "représentant personnel"
pour examiner la situation des droits de l'homme dans l'île communiste.
L'accusation lancée par Fidel Castro contre le Mexique, selon laquelle les
Etats-Unis auraient exigé que le leader cubain ne séjourne que quelques heures
à Monterrey, où arrivait justement le président Bush, n'est, aux yeux des
Mexicains, qu'un leurre destiné à détourner l'attention de la communauté
internationale de la situation intérieure dramatique qui prévaut à Cuba. "C'est
toujours la même technique de la fuite en avant", dit un haut
responsable latino-américain. "Je suis d'accord avec l'appréciation de
nombreux politologues (...) quand ils affirment que le modèle de
gouvernement totalitaire à Cuba est dans sa phase terminale, bien que l'on ne
puisse pas déterminer le temps exact qui lui reste", déclarait de
son côté le président de la Commission cubaine des droits de l'homme et de la
réconciliation nationale (CCDHRN), Elizardo Sanchez, à la veille de la réunion
de Genève. Fidel Castro et Cuba sont à bout de souffle : la situation économique
est catastrophique avec des indices proches de ce qu'ils étaient en 1993 où,
sous la pression de la rue, le président cubain avait été contraint
d'autoriser l'usage du dollar pour désamorcer une situation explosive. Selon
des estimations de l'économiste indépendant cubain Oscar Espinosa Chepe, le
PIB en 2002 s'annonce inférieur de 13 % à ce qu'il était en 1989.
L'année 2001 a été celle de tous les effondrements : chute des cours
des matières premières, et en particulier du nickel, une des rares ressources
minières de l'île ; une production sucrière (autrefois héroïque)
encore plus calamiteuse que les autres années (-12 %) et qui le sera
encore plus l'année prochaine. Cuba, depuis sa réorganisation post-soviétique,
dépend pour sa survie de deux sources : le tourisme (laissé pour
l'essentiel à la gestion d'entreprises étrangères, ce qui ampute singulièrement
les marges nettes) et les remesas, les envois d'argent que les exilés
aux Etats-Unis sont autorisés - malgré l'embargo imposé en 1960 par
Washington - à envoyer à leur famille restée dans l'île. Ces deux
sources de devises ont fortement chuté depuis les attentats du 11 septembre.
Dans ces conditions, Cuba continue à produire chaque année (et ce depuis 1991)
des déficits abyssaux qui s'ajoutent aux 40 milliards de dollars de dette
(dont la moitié envers la Russie) en 2002. Cela en fait, avec plus de 3 600 dollars
par habitant, l'un des pays les plus endettés du monde, avec des perspectives
de remboursement nulles. Pour l'année 2001, le déficit serait de 758 millions
de dollars selon la commission économique de l'ONU pour l'Amérique latine
(Cepal), soit une augmentation de plus de 10 % en un an. Ce chiffre ne
prend pas en compte les multiples incidents de paiement que Cuba accumule avec
les pays qui commercent ou nouent des partenariats avec elle.
"Constat de défaut"
Cuba demeure un pays pour lequel il est impossible d'obtenir des données avérées,
en raison de l'opacité de ses statistiques, ce qui n'a rien d'étonnant, mais
aussi, ce qui est plus troublant, de la volonté assumée de pays, la France par
exemple, qui ne souhaitent pas rendre public le prix de leur soutien à La Havane.
Selon diverses informations, Cuba n'aurait pas honoré en 2001 une créance
substantielle garantie par l'Etat français et ferait l'objet d'une procédure
de "constat de défaut" par la Compagnie française d'assurance pour
le commerce extérieur (Coface), qui, à terme, pourrait aboutir à la fermeture
totale des lignes de crédit généreusement ouvertes depuis cinq années par le
gouvernement français.
Ce qui se produit avec la France se retrouve avec l'ensemble des pays qui
commercent avec Cuba soit par solidarité idéologique, soit par espérance de
gain ; ainsi Cuba ne paie même plus le pétrole que lui a livré ces
derniers mois, dans des conditions préférentielles, le Venezuela, son seul
soutien en Amérique latine. Au sein de l'Union européenne, dont la
"position commune" adoptée en 1996 lie le développement de la coopération
avec Cuba à des progrès en matière de démocratie et des droits de l'homme,
il n'y a plus guère que la France qui continue à accorder à Cuba des
avantages dans le cadre bilatéral, après l'avoir placé sur la liste des pays
de sa "zone de solidarité prioritaire" (ZSP), définie en 1998.
A ce panorama économique s'ajoutent les rumeurs incessantes sur la
succession de Fidel Castro. La pétition signée par 11 020 Cubains,
qui demande l'organisation d'un référendum pour changer le système politique
du pays (Le Monde daté 12-13 mai), est une épreuve supplémentaire
dont le dirigeant cubain ne pourra pas non plus se débarrasser d'un simple
revers de la main. La force de ce "projet Varela", lancé par le président
du Mouvement chrétien de libération, Oswaldo Paya, est de se fonder sur la
Constitution cubaine. Il bénéficie auprès des gouvernements étrangers d'un véritable
soutien, au point que ses promoteurs ont obtenu l'assurance qu'il sera relayé
dans les instances internationales, c'est-à-dire dès vendredi 17 mai, à
Madrid, à l'occasion du sommet qui réunira les pays d'Amérique latine et de
l'Union européenne. Soit le gouvernement cubain accepte la demande de son
opposition, soit il la refuse et viole sa propre loi, tout comme il n'a jamais
respecté les engagements souscrits en faveur de la démocratie et du respect
des droits de l'homme, lors du sixième sommet ibéro-américain des chefs
d'Etat et de gouvernement à Santiago et à Vina del Mar (Chili) en novembre
1996, réitérés lors du neuvième sommet (à La Havane, en novembre
1999), ainsi qu'en juin 1999 à l'occasion du premier sommet des chefs d'Etat ou
de gouvernement des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, et de l'Union
européenne, à Rio de Janeiro.
Alain Abellard
Le Monde daté du 15 mai 2002
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