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Cuba rêve d'ouverture et survit par la débrouille
 

Tous les mois, Juan envoie au moins 100  dollars à ses parents restés sur l'île 
 
 La Havane, reportage, de notre envoyé spécial
 
 

Juan Campillo est un marielito, l'un de ces 125 000 Cubains qui ont fui l'île lors du gigantesque exode maritime de 1980, compromettant les chances de réélection du président américain de l'époque, Jimmy Carter. Invité par Fidel Castro vingt-deux ans plus tard, Jimmy Carter rencontre les dissidents et prêche dans les médias officiels la normalisation entre les deux pays et l'ouverture démocratique dans l'île, tandis que Juan Campillo est attablé dans une cafétéria de la Plaza Carlos III, au centre de La Havane.

Ce centre commercial est le temple d'une embryonnaire société de consommation. Vêtements, articles sportifs, parfums, chaînes hi-fi bas de gamme : on y trouve, à condition de disposer de dollars, tout ce dont rêve le Cubain moyen.

" Je fais vivre ma famille aux Etats-Unis, j'y paye mes impôts et j'entretiens ma famille à Cuba", comptabilise Juan Campillo, qui, après avoir échoué sur les côtes de Floride, a travaillé un temps dans le métro new-yorkais avant de créer une prospère entreprise en Californie, JC Iron Works. Tous les mois, il envoie au moins 100 dollars à ses parents restés sur l'île et vient une fois par an chargé de cadeaux.

Ce sont les remesas, ces transferts de fonds de la communauté exilée cubano-américaine, qui permettent à Cuba de survivre péniblement et animent les boutiques de la plaza Carlos-III. Evalués à plus de 800 millions de dollars par an, ces transferts constituent avec le tourisme la principale source de devises. " Je suis favorable à ce qu'on supprime l'embargo américain contre Cuba, mais à une condition : que le gouvernement cubain autorise les Cubano-Américains à investir dans l'île. Pourquoi les Espagnols, les Français ou les Mexicains peuvent-ils investir et pas nous", s'insurge Juan Campillo, qui arbore une grosse chaîne dorée et une casquette de base-ball.

Comme la grande majorité des Cubains, sa nièce préfère esquiver les questions trop directes. Elle lui laisse le soin d'énumérer les difficultés de la vie quotidienne : l'alimentation insuffisante et de plus en plus chère, les moyens de transport bondés et erratiques, l'impossibilité d'entretenir son logement, le manque d'eau et d'hygiène. " J'ai un enfant handicapé et j'ai demandé une ligne de téléphone il y a plusieurs mois. On m'a répondu qu'il n'y en avait pas. Mais si on arrive avec des dollars, on obtient une ligne immédiatement", finit-elle par lâcher.

Lorsqu'on interroge les passants au hasard des rues de La Havane, ou l'interviewé donne son identité et l'on a droit au discours convenu reprenant la ligne officielle sur la nécessité de lever l'embargo, cause de tous les maux de l'île. Ou, sous couvert de l'anonymat et en s'assurant de n'être pas écouté par des oreilles indiscrètes, certains acceptent de se confier. Des signes d'une peur et d'un double langage qui n'ont pas disparu.

DIX JOURS PAR MOIS

En bordure de la ville coloniale, le Parque central est un lieu de rencontre où les badauds, chômeurs ou sous-employés, commentent avec passion les derniers matchs de base-ball. A l'écart, sur un banc écrasé de chaleur, "José" raconte sa lutte quotidienne. Ouvrier de la construction, il gagne 250 pesos, moins de 10 dollars, par mois. " Comment veux-tu que je mange avec ça alors que la bouteille d'huile de friture coûte 2 dollars ?", interroge-t-il.

De l'avis général, la libreta, le carnet de rationnement, permet tout juste de manger, mal, une dizaine de jours par mois. Après, il faut compléter aux marchés de producteurs, où les fruits, les légumes et la viande de porc sont vendus en pesos cubains, ou dans les shoppings, où les aliments sont vendus au prix fort et en billets verts. Même les œufs se vendent en devises, à 11 centimes de dollar l'unité.

" Tous les jours, les prix augmentent. Les gens ont en marre de la politique. Ils ne s'intéressent qu'à leur survie quotidienne. Le problème est que si on essaie de se débrouiller pour améliorer l'ordinaire on risque de se retrouver en prison. Les prisons sont pleines de jeunes qui n'ont rien fait de grave, seulement inventé un petit négoce pour tenter de s'en sortir", affirme "José".

Comme tous les Cubains, il se félicite de la visite de Jimmy Carter. " Bush et Fidel devraient aussi oublier un peu la politique et établir de bonnes relations économiques", suggère-t-il. Il préfère ne pas commenter le projet Varela, la campagne de signatures lancée par la dissidence pour obtenir des changements par la voie du référendum.

La plupart des Cubains ignoraient tout de cette initiative avant le discours prononcé par Jimmy Carter, mardi, à l'université de La Havane et retransmis en direct par la radio et la télévision. Ils ont été encore plus surpris de voir, le 16 mai, la publication in extenso des propos de l'ancien président américain dans Granma et Juventud Rebelde, les quotidiens du Parti et de la Jeunesse communistes.

Jean-Michel Caroit

Le Monde daté du 19 mai 2002


 
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