Conformément à ses voeux, l'oncle de Juanchin est inhumé dans un cimetière
de La Havane avec son livret de travail, fierté de toute une vie d'ouvrier
modèle. Problème : pour obtenir sa pension, la veuve a besoin dudit
fascicule. Juanchin récupère nuitamment le cercueil, mais surpris en plein
forfait, il est contraint de se carapater avec. Dès lors, comment remettre
à sa place le tonton trépassé qui trône désormais dans le salon
familial ? Formulaires d'exhumation, d'inhumation, tampons, signatures,
files d'attente et fonctionnaires obtus : c'est le début d'un
cauchemardesque gymkhana administratif...
"Le scénario du socialisme est excellent, mais la mise en scène
laisse beaucoup à désirer", dit un jour Tomás Gutiérrez Alea (
Fraise
et chocolat,
Guantanamera). Cette petite phrase goguenarde résume
toute l'ambivalence de la carrière du cinéaste cubain disparu en 1996,
entre trublion patenté et artiste officiel, entre révérence et
dissidence. Cette satire galopante, allégrement macabre, des pesanteurs
bureaucratiques du régime castriste n'échappe pas à ce malin paradoxe.
Gutiérrez Alea emballe sa critique souriante dans un superbe noir et blanc,
raille le déluge de paperasse, mais se garde d'évoquer la moindre répression
politique. Cette fanfare de gags façon slapstick, empoignades et tartes à
la crème (le film est dédié, entre autres, à Laurel et Hardy ou à
Harold Lloyd), fit d'ailleurs, dit-on, beaucoup rire le Lider Maximo en
personne.
Cécile Mury
(La Muerte de un burócrata). Cubain, 1966. (1h25). Réalisation : Tomás
Gutiérrez Alea. Scénario : Alfredo L. Del Cueto, Ramon F. Suarez, T. Gutiérrez
Alea. Image : Lopito. Décors : Luis Obregon. Montage : Mario Gonzalez.
Musique : Leo Brower. Avec : Salvador Wood (Juanchin). Silvia Planas (la
tante). Prod. : ICAIC. Distr. : Médiathèque des Trois Mondes.