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 L'enfer castriste
Indice de materias

 
L'ÎLE DU DOCTEUR CASTRO de Corinne Cumerlato
et Denis Rousseau.
Stock, 314 p., 120 F (18,29 €).

Corinne Cumerlato et Denis Rousseau démontent le système dictatorial du «docteur Castro » et ses sinistres conséquences

Dix ans après la chute du mur de Berlin, Cuba veut faire croire que son avenir est socialiste. » C'est en s'appuyant sur cette affirmation que les journalistes Denis Rousseau, directeur du bureau de l'Agence France-Presse à La Havane de 1996 à 1999, et Corinne Cumerlato, correspondante au cours de la même période de médias français, ont construit leur récit sur l'île communiste. Figure centrale de leur démonstration : le chef de l'Etat cubain, Fidel Castro, par lequel la fiction d'un paradis socialiste, à quelques encablures des puissants États-Unis, se perpétue.
Le titre de leur ouvrage renvoie en une perfide allusion au roman fantastique de H.-G. Wells qui mettait en scène un personnage délirant, le docteur Moreau, obsédé par des recherches démoniaques sur des êtres humains. Au-delà de la caricature, ils affirment et montrent remarquablement que la politique cubaine, depuis maintenant plus de quarante ans, ne peut se comprendre qu'à l'aune des illuminations et des humeurs de l'illustre dirigeant cubain.
Les auteurs utilisent des cadres d'analyses déjà formulés et reprennent à leur compte l'idée que « le castrisme est avant tout un système de pouvoir qui repose sur une machinerie sociale et politique complexe au service d'un but unique » : le maintien au pouvoir « d'un homme et d'une caste bureaucratique et militaire qui a lié son destin à celui de son leader ». Dans cette optique, l'ouvrage offre au lecteur une compréhension minutieuse de la triste réalité cubaine.
La narration de Denis Rousseau et Corinne Cumerlato est aussi documentée qu'alerte ; les multiples anecdotes parviennent à cerner comment, depuis la chute de l'empire soviétique en 1991, Cuba s'est installé dans un immobilisme, érigé en fierté imbécile, dont ils repèrent « les signes de pourrissement qui le menacent chaque jour davantage ».
L'lle du docteur Castro explique comment « la belle mécanique s'enraye » dans I'île communiste et à quel point, au final, les décisions du gouvernement ne s'entendent que comme une succession d'incohérences. Le volume et les variations de la rhétorique officielle apparaissent pour ce qu'ils sont : la mesure d'un sauve-qui-peut permanent et généralisé.

UN SEUL RÊVE : LA FUITE 

Depuis 1991 et la légalisation du dollar en 1993, l'île connaît une crise sociale sans précédent. Les uns possèdent le précieux billet vert et les autres, l'immense majorité, sont condamnés à survivre avec la monnaie nationale, le peso. Et le cortège des maux déborde au fil des chapitres : prostitution, alcoolisme, consommation et trafic de drogue, absentéisme sur les lieux de travail, violence, sabotage et corruption massive. « Cette profonde injustice, écrivent les auteurs, mine peu à peu les fondements même d'une révolution qui se vante d'avoir éradiqué les inégalités ».
Et pour beaucoup de Cubains, le rêve demeure le départ, la fuite de cette île maudite. « Au total, plus de douze mille Cubains ont péri dans les eaux infestées de requins du détroit de Floride », précisent-ils.
Ils soulignent également à quel point Cuba s'est engagée dans une stratégie de repli après la visite du pape, en janvier 1998. C'est ainsi que doit s'analyser l'année 1999, marquée par un durcissement sans précédent du régime avec l'adoption de mesures répressives (en février) pour tenter de faire face à la montée d'une délinquance sociale inédite. La répression accrue contre les dissidents (en mars) ne peut se comprendre que dans ce cadre d'une dégradation générale de la situation économique et sociale.
Le limogeage, en mai 1999, du chef de la diplomatie cubaine, Roberto Robaina, qui, pendant six années, a tenté de donner une image d'honorabilité à la petite dictature des Caraïbes, prend tout son sens dans ce contexte que les auteurs ont restitué sans tomber dans le piège d'une cubanologie incertaine.
Ils avancent, en filigrane de leur récit, que « le docteur Castro » ne se sent véritablement exister que dans l'adversité et préfère se couper de ses plus proches soutiens internationaux : le Canada et l'Union européenne. Le paradoxe, écrivent-ils, est que, depuis le retrait des troupes américaines de Panama, fin 1999, « Fidel Castro subit ainsi l'humiliation d'héberger sur son sol la plus importante base militaire américaine en Amérique latine » : Guantánamo.
L'lle du docteur Castro comporte de nombreuses pages grinçantes ou délicieuses, comme celles où les auteurs racontent combien le Lider máximo aime à jouer. de sa séduction auprès de visiteurs identifiés comme potentiellement intéressants pour relayer la propagande du régime.
Parmi les perles rapportées par les auteurs, signalons la glose de la romancière Régine Deforges, qui nimbe d'un esthétisme indécent la réalité de la prostitution dans l'île. Le lecteur se délectera, en revanche, de la ferveur d'une délégation du patronat français, place de la Révolution, le 1 er mai 1998 : « Dans la tribune d'honneur, le secrétaire général du comité Amérique latine du CNPF, M. Stéphane Witkowski, fredonnait L'Internationale, le bras levé avec son voisin (le chef de la délégation, Jean-Pierre Desgeorges) battant la cadence. » Cette fascination du CNPF « tombé sous le charme » en dit long sur les fabuleux pouvoirs de Fidel Castro.

Alain Abellard

Le Monde des Livres, 14.7.2000