Mayra Montero |
Aïda fatale
Le messager (Como un mensajero tuyo) de Mayra Montero. Traduit de l'espagnol (Cuba) par Françoise Rosset, Gallimard, "Du monde entier", 288 p., 19,06 EURO (125 F). Imagine-t-on Radamès errant, pris de panique dans les rues d'une ville inconnue au milieu des cris d'effroi d'une population terrifiée par un attentat ? Si la bombe qui dévaste le Teatro Nacional de La Havane le 13 juin 1920, vers la fin du deuxième acte de l'Aïda de Verdi, ne fit que des dégâts, le grand ténor Caruso, éprouvé déjà par le tremblement de terre de San Francisco, fut rattrapé par l'onde de choc du drame. Sur cet épisode anecdotique, la Cubaine Mayra Montero a bâti un roman où le spectre de la mort, annoncée, prévisible, prégnante jusque dans les attitudes les plus ordinaires, règne en maître. Au long des chapitres, nommés comme autant d'airs d'un opéra funèbre, le récit entremêle le fil des événements, l'enquête menée plus tard par une jeune femme, Enriqueta Cheng, partie à la source de l'histoire d'amour tragique de sa mère, Aïda, beauté métisse au regard chinois et au corps plein de mulâtresse, et du ténor napolitain, ainsi que l'intervention, trente-deux ans après le drame, d'un mercenaire en quête de reliques pour collectionneur fortuné. Il se répète inlassablement, offrant les hypothèses les plus contradictoires, les indices les plus réversibles, avec toujours l'angoisse presque palpable des protagonistes. Rites magiques occultes, complots d'amour, d'évasion ou de mort, l'attentat révèle un monde secret, comme si la bombe avait fait voler un éclat d'écorce mettant à nu la chair tendre de l'arbre et les mondes cachés qui s'y affolent d'une lumière trop vive. Comme un éclair qui coupe toute vie en deux. Ph.-J. C. LE MONDE DES LIVRES (ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.09.01) |