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 Au bonheur des nouveaux riches

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L’essor du marché noir a créé une nouvelle classe sociale. Les macetas manient le dollar à la barbe des autorités.

Tous les dimanches, Chicho Méndez se lève de bonne heure et accomplit un rituel : il s’habille d’un pantalon blanc et d’une chemise à pois jaunes et noirs, passe autour de son cou trois grosses chaînes en or et fourre dans sa poche une liasse épaisse de billets de 1 et 5 dollars. Avec Gladys, sa compagne du moment, une métisse de vingt ans de moins que lui, ils s’arrêtent à une station-service et achètent deux packs de bières. Puis ils se remettent en route pour la plage, où ils passeront la journée. Ce rite dominical n’attirerait l’attention dans aucune autre ville côtière, mais à Cuba il s’agit de quelque chose d’exceptionnel, qui montre que Chicho appartient à une nouvelle classe sociale : les macetas [littéralement “pots de fleurs”], les nouveaux riches.

Donner une définition du maceta est une tâche ardue, d’autant plus qu’il existe deux versions de cette définition : celle de l’Etat et celle de la rue. Pour le gouvernement, les macetas sont des criminels, des asociaux, des parasites qui se consacrent à des activités commerciales illégales afin d’obtenir un gain rapide aux dépens des personnes dans le besoin. Le citoyen de base voit les choses tout à fait autrement. Pour lui, le maceta est un négociant, un homme qui gagne de l’argent grâce à son travail, et dans les milieux populaires l’appellation n’a pas de connotation péjorative.

Le phénomène des macetas fait ressortir l’inégalité sociale qui existe déjà à Cuba entre ceux qui ont accès au dollar (grâce à leur travail dans des compagnies étrangères, aux pourboires, à la prostitution ou aux envois des membres de la famille qui vivent à l’étranger) et ceux qui doivent se contenter de leurs maigres salaires en pesos cubains. Le maceta ne génère aucune richesse, il ne possède aucun commerce au sens strict. Il se consacre à l’achat et à la vente toujours en marge de la loi. Certains réparent des appareils électroménagers ou achètent des téléviseurs cassés qu’ils réparent et revendent, d’autres servent d’intermédiaires avec les paysans et font un commerce d’aliments. Untel qui travaille dans une station-service - l’un des emplois les plus recherchés - trafique les compteurs de manière que tous les dix litres il y en ait un qui soit détourné à son profit. Même Internet a fourni une nouvelle source d’enrichissement.

L’esprit inventif des Cubains, la permissivité apparente de l’administration, ainsi que le besoin général d’avoir des dollars pour pouvoir “résoudre” font que les moyens illégaux de gagner de l’argent sont pratiquement infinis. Certains macetas, les moins nombreux, gagnent de l’argent de manière légale. La plupart sont des propriétaires de paladar [restaurant privé], auxquels l’Etat impose de nombreuses restrictions pour les empêcher de prospérer.

D’après un sociologue de l’université de La Havane, qui a demandé l’anonymat, “le phénomène du maceta a pris de l’ampleur et s’est enraciné dans la société. C’est la première classe sociale palpable qui apparaît sur l’île depuis le triomphe de la révolution. Le maceta, modèle populaire du capitaliste, se maintient malgré le rejet officiel et prend de l’importance au niveau civil.

Joaquim Ibarz

 

La Vanguardia, Barcelone