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 La révolution, ça va, merci !

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Malgré la crise, nombre d’organisations citoyennes continuent de propager les grands principes. Et l’école enseigne toujours l’amour de la patrie...

Lázaro Vargas est cubain et joueur de base-ball. Il a beau avoir un physique imposant, son sourire n’en est pas moins attendrissant. Derrière lui, une partie est en cours ; à chaque fois qu’une batte vient cogner le cuir d’une balle, les muscles de sa nuque se crispent comme s’il était touché de plein fouet. En ce dimanche, sous le soleil de plomb d’une banlieue havanaise, les joueurs de base-ball s’entraînent aussi sérieusement que des professionnels américains. La différence, c’est qu’ils jouent par passion et pour la gloire - conformément à la loi - et non pour l’argent. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils jouent pour Cuba. Lázaro Vargas est l’un des meilleurs joueurs au monde. Pour les aficionados du base-ball, il est l’homme qui, loin de se laisser impressionner par les limousines des JO, a refusé les six millions de dollars que lui proposaient les Braves [une équipe d’Atlanta] pour rejoindre leur équipe. Depuis, une question brûle les lèvres de tous les fans : pourquoi ? Lázaro Vargas esquisse son sourire radieux et désarmant : “Il est doux, commente-t-il enfin, de savoir que personne ne peut vous acheter.”

A l’issue des manifestations, de petites questions anodines

Lázaro Vargas personnifie l’image officielle que Cuba cherche à véhiculer. Il est l’incarnation moderne du héros révolutionnaire, vêtu non plus d’un treillis mais d’une tenue de sport. Cependant, Lázaro Vargas n’est pas Cuba. Car, à La Havane, par-delà la ligne blanche qui délimite le terrain de base-ball, c’est un peu le début de la fin... La fin de quoi exactement ? A l’image de la ville, la réponse ne peut être que flottante ; à l’image des mille visages et croyances de l’île, elle ne peut être qu’ambivalente. Toujours est-il que les rues bordées de gigantesques portraits stylisés de Che Guevara - impérissable icône du rêve révolutionnaire - qui mènent du stade de base-ball aux quartiers pauvres du centre-ville s’effondrent, de même que le rêve en question, et que La Havane nage en plein désarroi...

Alors que sous les premiers feux de l’aurore s’évanouissent les étoiles du ciel havanais, des enfants s’attroupent sur la route pavée pour s’adonner à un jeu visiblement captivant et d’une simplicité élémentaire. A l’aide de bouts de ficelle, ils fouettent une toupie pour la faire danser d’un pavé à l’autre. Puis, la cloche de l’école Rubén Alvarez - dont le nom, cela va de soi, est un hommage à un héros révolutionnaire - retentit, et les enfants, vêtus de chemises blanches impeccablement repassées et de foulards rouges soigneusement noués autour du cou, rejoignent leur classe à grandes enjambées. A l’entrée de l’école, on peut lire, sur un panneau où sont exposées les photos du petit Elián González [le jeune Cubain rescapé d’un naufrage au large de Fort Lauderdale, en Floride, alors qu’il s’enfuyait avec sa mère vers Miami] retrouvant les bras aimants de son père : “Sin educación, no hay revolución posible” [Sans éducation, la révolution n’est pas possible]. La directrice de l’école, Pilar Mejia, explique que les programmes scolaires respectent scrupuleusement les dernières directives du ministère de l’Education comportant cinq grands principes, dont le premier stipule (elle lit respectueusement) : “L’amour de notre terre natale doit être le but politique de notre processus éducatif.”

Sur un tableau accroché au mur figurent les noms des meilleurs élèves ainsi que ceux des moins méritants. “Nous avons recours à la compétition”, explique le professeur de mathématiques Rafael More. “Nous pensons que les enfants doivent être protégés tout en étant soumis à une certaine discipline ; cela vaut bien mieux que vos Nintendo et autres jeux vidéo violents.” Les élèves de M. More ont un air grave et innocent à la fois. Ici, on n’a ni l’envie ni le luxe de se laisser aller.

D’après William Rakip [un physicien ayant participé au programme d’armement nucléaire de Cuba], l’éducation constitue l’un des principaux rouages de la révolution. “Vous ne saisissez pas bien la différence entre l’insurrection, qui n’est qu’un moment, et la révolution, qui est tout ce qui vient après”, affirme-t-il. Cette définition de la révolution est une évocation de la “révolution permanente” prônée par Léon Trotski, l’un des maîtres à penser de Fidel Castro. Seulement, à La Havane, la révolution stagne. Et à mesure que passent les jours, l’herbe paraît toujours plus verte de l’autre côté du détroit de Floride.

La croisade contre l’influence américaine est devenue l’affaire de comités largement vantés par l’histoire populaire du communisme cubain : les Comités de défense de la révolution (CDR). Hilda Betancourt a assisté à leur création en 1960. Aujourd’hui, elle est la coordinatrice du CDR du district de Dragones, un quartier populaire très animé. “Il y a eu une grande assemblée au palais présidentiel, se souvient-elle, et Fidel a annoncé que dans chaque quartier un comité serait mis en place pour protéger la révolution. Aujourd’hui, ces comités fonctionnent toujours.” Ce sont eux qui rassemblent les foules lors des manifestations d’allégeance spontanées, comme pour l’affaire du petit Elián González. Les Havanais ont alors manifesté en faveur du retour de l’enfant sur l’île. Les CDR veillent à ce que le commandant en chef prenne toujours la parole devant une piazza noire de monde. A l’issue de ces manifestations, ils entreprennent parfois de petites enquêtes anodines, histoire de repérer les tire-au-flanc. Sur le terrain, la vigilance révolutionnaire consiste à épier, à traquer les suspects, et parfois à passer à l’action. Les membres des CDR sont les informateurs, les rapporteurs politiques, les yeux et les oreilles de la police secrète cubaine.

Ed Vulliamy

The Observer, Londres