La révolution, ça va, merci ! |
Malgré la crise, nombre
d’organisations citoyennes continuent de propager les grands principes. Et
l’école enseigne toujours l’amour de la patrie... A
l’issue des manifestations, de petites questions anodines Lázaro
Vargas personnifie l’image officielle que Cuba cherche à véhiculer. Il
est l’incarnation moderne du héros révolutionnaire, vêtu non plus
d’un treillis mais d’une tenue de sport. Cependant, Lázaro Vargas
n’est pas Cuba. Car, à La Havane, par-delà la ligne blanche qui délimite
le terrain de base-ball, c’est un peu le début de la fin... La fin de
quoi exactement ? A l’image de la ville, la réponse ne peut être que
flottante ; à l’image des mille visages et croyances de l’île, elle ne
peut être qu’ambivalente. Toujours est-il que les rues bordées de
gigantesques portraits stylisés de Che Guevara - impérissable icône du rêve
révolutionnaire - qui mènent du stade de base-ball aux quartiers pauvres
du centre-ville s’effondrent, de même que le rêve en question, et que La
Havane nage en plein désarroi... Alors
que sous les premiers feux de l’aurore s’évanouissent les étoiles du
ciel havanais, des enfants s’attroupent sur la route pavée pour
s’adonner à un jeu visiblement captivant et d’une simplicité élémentaire.
A l’aide de bouts de ficelle, ils fouettent une toupie pour la faire
danser d’un pavé à l’autre. Puis, la cloche de l’école Rubén
Alvarez - dont le nom, cela va de soi, est un hommage à un héros révolutionnaire
- retentit, et les enfants, vêtus de chemises blanches impeccablement
repassées et de foulards rouges soigneusement noués autour du cou,
rejoignent leur classe à grandes enjambées. A l’entrée de l’école,
on peut lire, sur un panneau où sont exposées les photos du petit Elián
González [le jeune Cubain rescapé d’un naufrage au large de Fort
Lauderdale, en Floride, alors qu’il s’enfuyait avec sa mère vers Miami]
retrouvant les bras aimants de son père : “Sin educación, no hay
revolución posible” [Sans éducation, la révolution n’est pas
possible]. La directrice de l’école, Pilar Mejia, explique que les
programmes scolaires respectent scrupuleusement les dernières directives du
ministère de l’Education comportant cinq grands principes, dont le
premier stipule (elle lit respectueusement) : “L’amour de notre terre
natale doit être le but politique de notre processus éducatif.” Sur un
tableau accroché au mur figurent les noms des meilleurs élèves ainsi que
ceux des moins méritants. “Nous avons recours à la compétition”,
explique le professeur de mathématiques Rafael More. “Nous pensons que
les enfants doivent être protégés tout en étant soumis à une certaine
discipline ; cela vaut bien mieux que vos Nintendo et autres jeux vidéo
violents.” Les élèves de M. More ont un air grave et innocent à la
fois. Ici, on n’a ni l’envie ni le luxe de se laisser aller. D’après
William Rakip [un physicien ayant participé au programme d’armement nucléaire
de Cuba], l’éducation constitue l’un des principaux rouages de la révolution.
“Vous ne saisissez pas bien la différence entre l’insurrection, qui
n’est qu’un moment, et la révolution, qui est tout ce qui vient après”,
affirme-t-il. Cette définition de la révolution est une évocation de la
“révolution permanente” prônée par Léon Trotski, l’un des maîtres
à penser de Fidel Castro. Seulement, à La Havane, la révolution stagne.
Et à mesure que passent les jours, l’herbe paraît toujours plus verte de
l’autre côté du détroit de Floride. La
croisade contre l’influence américaine est devenue l’affaire de comités
largement vantés par l’histoire populaire du communisme cubain : les
Comités de défense de la révolution (CDR). Hilda Betancourt a assisté à
leur création en 1960. Aujourd’hui, elle est la coordinatrice du CDR du
district de Dragones, un quartier populaire très animé. “Il y a eu une
grande assemblée au palais présidentiel, se souvient-elle, et Fidel a
annoncé que dans chaque quartier un comité serait mis en place pour protéger
la révolution. Aujourd’hui, ces comités fonctionnent toujours.” Ce
sont eux qui rassemblent les foules lors des manifestations d’allégeance
spontanées, comme pour l’affaire du petit Elián González. Les Havanais
ont alors manifesté en faveur du retour de l’enfant sur l’île. Les CDR
veillent à ce que le commandant en chef prenne toujours la parole devant
une piazza noire de monde. A l’issue de ces manifestations, ils
entreprennent parfois de petites enquêtes anodines, histoire de repérer
les tire-au-flanc. Sur le terrain, la vigilance révolutionnaire consiste à
épier, à traquer les suspects, et parfois à passer à l’action. Les
membres des CDR sont les informateurs, les rapporteurs politiques, les yeux
et les oreilles de la police secrète cubaine. Ed Vulliamy The Observer, Londres |