L'affaire Elian, paravent
de la répression à Cuba, par Alain Abellard
Mis à jour le jeudi 27 janvier
2000
Pour le gouvernement cubain et son
Lider
Maximo, l'année 1999 a été celle de tous les échecs
diplomatiques. Mais La Havane a trouvé, selon de nombreux observateurs,
une miraculeuse opportunité de revanche avec l'affaire Elian Gonzalez,
cet enfant cubain naufragé, sauvé de la noyade sur les côtes
de Floride, que l'opposition anticastriste de Miami ne veut pas laisser
regagner son île natale. A Cuba, les autorités ont accentué
depuis deux mois la répression contre les opposants et les journalistes
de la presse indépendante. Avec l'« affaire Elian »,
elles ont réactivé à peu de frais la fibre nationaliste
et obtenu le soutien de la communauté internationale, à commencer
par celui des Etats-Unis, dont les positions de l'administration en faveur
d'un retour de l'enfant à Cuba sont mises en valeur par la presse
officielle.
Sur le fond, il n'y a pas d'affaire
Elian. L'administration Clinton a pris clairement position et ne cesse
de réaffirmer qu'elle souhaite un retour rapide de l'enfant à
La Havane. Et seules des péripéties propres aux Etats de
droit, permettant à de simples citoyens d'exercer des recours auprès
des tribunaux, retardent ce rapatriement.
Si l'acharnement des anticastristes
de Miami est impressionnant, si leur manière d'utiliser l'enfant
en le comblant de jouets, en lui offrant un chien ou encore un téléphone
portable, est pour le moins ambiguë, la débauche d'énergie
déployée à Cuba sur cette affaire se révèle
tout aussi douteuse. Fidel Castro orchestre en personne l'opération
«
de mobilisation des masses populaires » dans la tradition des
grandes « manifestations spontanées », organisées
par les cadres du Parti et par les responsables des comités de défense
de la révolution (CDR), auxiliaires de la police dans chaque quartier.
INDIFFÉRENCE TOTALE
Sur le plan intérieur, la conséquence
de ces huit semaines de crise, survenue quelques jours après le
sommet ibéro-américain organisé à La Havane
à la mi-novembre, a été un accroissement de la répression
dans une indifférence totale, selon les organisations de défense
des droits de l'homme.
Au total, 344 Cubains sont actuellement
emprisonnés pour des motifs politiques, soit 20 de plus qu'il y
a six mois, selon un rapport de la dissidence cubaine rendu public mardi
11 janvier. « La situation des droits civiques et politiques à
Cuba s'est aggravée en 1999, comparée à l'année
précédente », relève dans un rapport la
Commission cubaine des droits de l'homme et de la réconciliation
nationale (CCDHRN), dirigée par Elizardo Sanchez. « Sur
les 262 dissidents arrêtés en novembre
et décembre, 17 ont passé les fêtes de fin d'année
en détention et 10 sont actuellement emprisonnés »,
ajoute
la CCDHRN. « Deux cents autres ont été assignés
à résidence et empêchés de se rendre à
La Havane pour éviter leur participation aux activités de
l'opposition », précise le rapport.
Raul Rivero, le président de
l'agence Cubapress, a indiqué que 20 journalistes indépendants
ont été arrêtés et de nombreux autres ont fait
l'objet de mesures d'intimidations. Selon M. Rivero, Fidel Castro, avec
l'affaire Elian, « a créé un sentiment nationaliste
dans la majorité de la population cubaine, même chez ceux
qui n'approuvent pas le gouvernement ».
ESPOIRS DÉÇUS
Avant le déclenchement de l'affaire
Elian, le 25 novembre, le renforcement de la répression à
Cuba aurait provoqué une réaction internationale, comme ce
fut le cas en février 1999 lors de l'adoption par les autorités
cubaines de lois répressives et, en mars, avec les condamnations
à de lourdes peines de prison de quatre figures emblématiques
de la dissidence. Mais la vague d'arrestations des deux derniers mois est
passée inaperçue parce que le gouvernement cubain l'a effectuée
en parallèle à la mobilisation provoquée sur l'affaire
Elian.
Cuba a été condamné
le 23 avril dernier, à Genève, par la Commission des droits
de l'homme de l'ONU. En juin dernier, les Quinze de l'Union européenne
ont reconduit leur position commune, adoptée en 1997, qui lie le
développement de la coopération avec Cuba à des progrès
substantiels en matière de démocratie et de respect des droits
de l'homme. Et à la fin de ce même mois, lors de la conférence
de Rio, qui réunissait les pays d'Amérique latine, des Caraïbes
et l'Union européenne, les demandes de Cuba d'une condamnation des
Etats-Unis n'ont pas été retenues, en raison de l'absence
de réformes significatives dans le pays.
Il y a eu un affrontement avec le Canada
avant et après les Jeux panaméricains de Winnipeg, fin juillet,
qui n'a fait que confirmer la détérioration des relations
que l'île caraïbe entretient avec un pays qui est son premier
partenaire commercial. Ottawa a gelé ses relations bilatérales
avec La Havane après l'adoption des lois répressives de février
et les condamnations du mois de mars.
Mais le pire, pour Cuba, a été
l'humiliation subie pendant le sommet ibéro-américain, dont
l'organisation à La Havane devait consacrer le retour de l'île
au sein du continent et marquer symboliquement l'échec de la politique
d'isolement suivie par Washington. Ce sommet a été, à
bien des égards, celui de la dissidence, dont les dirigeant modérés,
comme Elizardo Sanchez, ont été légitimés par
les représentants de nombreux pays, le symbole le plus éclatant
de cette reconnaissance étant la rencontre des dissidents avec le
responsable de la diplomatie mexicaine, Rosario Green.
Ce renforcement de l'opposition, après
le sommet de La Havane, n'a pas résisté à la pression
des autorités. L'affaire Elian a donné à Fidel Castro
l'opportunité de reprendre en quelques semaines ce qu'il avait perdu
en quelques jours.
Ce constat ne fait que renforcer la
désillusion qui avait suivi la visite du pape Jean Paul II dans
l'île communiste en janvier 1998. Les espoirs d'une évolution
de la société cubaine vers plus de démocratie avaient
été déçus ; ils ne sont plus aujourd'hui à
l'ordre du jour des chancelleries.
Alain Abellard
Le Monde daté du vendredi
28 janvier 2000
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