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"Mon ange", de Guillermo Rosales : la folie de l'exil

 

Le Cubain Guillermo Rosales trouve à Miami un asile d'aliénés plus qu'un asile politique.

MON ANGE (BOARDING HOME) de Guillermo Rosales. Traduit de l'espagnol (Cuba) par Liliane Hasson, éd. Actes Sud, 128 p., 12,90 €. En librairie le 6 septembre. 

Au pays des fous, les écrivains sont rois. De là semble tiré le spectaculaire roman autobiographique du Cubain Guillermo Rosales, né en 1946. Dans ce court texte d'exil publié en 1987, cinq ans avant la mort de l'auteur, se tiennent coude à coude l'extrême misère et le comble de l'espoir : "Je ne suis pas un exilé politique. Je suis un exilé total. Je me dis parfois que, si j'étais né au Brésil, en Espagne, au Venezuela ou en Scandinavie, j'aurais fui tout autant leurs rues, leurs ports et leurs prairies."

Comme son créateur, Guillermo Rosales, le révolutionnaire et romancier Williams Figueras, héros de Mon ange, a fui Cuba et le régime castriste au début des années 1980, sans trouver à Miami le refuge prévu : c'est un asile d'aliénés et non un asile politique qui l'attend. Dans cette maison de fous crasseuse, ce "boarding home" où sa famille ingrate l'a placé d'office, il va rejoindre le rebut de la diaspora cubaine. Ironie de l'histoire, propriétaires dépossédés et communistes désabusés s'y côtoient dans le même dénuement. A la fois "bourreau, témoin, victime" sous la révolution castriste comme chez les fous, le personnage de Guillermo Rosales raconte cet isolement où "personne n'a personne" : les accès de violence s'enchaînent sous son regard attentif au moindre détail grotesque. Vexations, hiérarchie minable et mafia locale, tout y passe. Du boxeur homosexuel à la grande bourgeoise déchue en passant par la petite frappe alcoolique, quelques personnages sortant de leurs réduits délivrent au narrateur des bribes de leur histoire avant d'être repris par l'insignifiance. Avec cette micro-dictature et sa cargaison d'exilés, vrai théâtre de cruauté et d'innocence, Guillermo Rosales renvoie dos à dos l'idéal révolutionnaire trahi et la communauté cubaine de Miami, soucieuse de s'intégrer à la classe moyenne des "triomphateurs" américains.

Bien sûr, on voit surgir çà et là l'ombre amicale de l'écrivain cubain Reinaldo Arenas, émigré à Miami quelques années auparavant lors de l'exode de Mariel, comme Guillermo Rosales lui-même et l'écrivain Carlos Victoria, qui décrivit l'internement de l'auteur de Mon ange dans sa nouvelle La Estrella fugaz. Mais, porté par le regard faussement passif du héros, ce romancier apatride et stérile, le "boarding home" devient un îlot d'inhumanité peu à peu détaché de tous : où Cuba reste un souvenir ambivalent, revenant en rêve comme une terre en ruines ou encore vierge. Au milieu du roman, la vague d'espoir délirant soulevée par l'arrivée angélique de Francine, ancienne révolutionnaire et peintre admirable, révèle un désir de naïveté aussi vif que le désespoir antérieur. Le rachat possible n'aura pas lieu. Mais ce premier roman, lui (un second ayant été publié à titre posthume), sarcastique et ingénu, sort de l'enfer haut la main.

Fabienne Dumontet

Le Monde daté du 23 août 2002


 
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