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Cuba, la plage sans les dollars 


 L'austérité fait loi. Seuls les travailleurs méritants et les jeunes mariés ont accès aux luxueux hôtels pour touristes étrangers de Varadero. Les autres fréquentent la côte est, proche de la Havane, ou le parc Lénine.
 
 Guanabo (Cuba) de notre envoyé spécial
 
 

La vieille bâche, tendue sur quatre piquets fichés dans le sable, fait un petit coin d'ombre sur la plage écrasée par le soleil tropical. Serveuse à La Havane, Maïté Pantoja se rafraîchit à Guanabo, l'une des "plages de l'Est" qui s'étirent entre la capitale et Matanzas. Sous l'auvent de fortune, un sac avec de maigres provisions et des bouteilles en plastique remplies d'eau du robinet. "Je travaille dans un restaurant pour Cubains, en monnaie nationale et sans pourboire. Avec mon salaire mensuel de 128 pesos (environ 5 €), j'ai tout juste de quoi me payer le bus, 10 pesos (0,4 €), aller et retour, pour passer de temps en temps une journée à la plage", calcule Maïté, dont la peau noire tranche sur le sable blanc. Pour la plupart des baigneurs qui barbotent dans l'eau calme et peu profonde, pas question de louer un parasol à un dollar (26 pesos) ou une chaise longue. Comme toutes les plages de l'Est, en cette période de chaleur estivale, Guanabo est noire de monde. A part un couple d'Italiens, dont la femme est la seule à se bronzer sans soutien-gorge, il n'y a que des Cubains ce samedi à Guanabo. Ils sont arrivés de La Havane entassés à bord de guaguas, les vieux bus essoufflés, ou dans des camions rescapés du camp socialiste. Certains, comme Pedro et son amie Maria, ont préféré débourser 40 pesos (1,6 €), aller et retour, pour le confort tout relatif d'une Plymouth 1956 reconvertie en taxi collectif.

"PÉRIODE SPÉCIALE"

Des gamins construisent des châteaux de sable, comme sur toutes les plages du monde. Le plus souvent avec leurs mains, sans pelle et sans seau. En guise de maillot, des hommes ont enfilé un vieux short et leurs compagnes se baignent en tee-shirt. L'austérité de la société cubaine, aggravée par plus de dix ans de " période spéciale"- l'euphémisme qualifiant le brutal ajustement qui a suivi la disparition du bloc soviétique -, est patente sur ces plages où le superflu désigne le touriste étranger ou le parent venu de Miami.

Les deux caméras vidéo aperçues à Guanabo appartiennent à des Cubano-Américains. Carlos, l'un d'eux, se plaint d'avoir dû dépenser 70 dollars pour acheter une glacière, qu'il a remplie de canettes et de bouteilles de rhum, dans une " boutique de récupération de devises". Mais après tout, il est venu offrir quelques jours de vraies vacances aux membres de sa famille restés dans l'île.

Au pied d'une grande bâtisse à moitié en ruine, Julio César Varona tient une buvette du " Plan Verano", le programme de vacances populaires organisé par les autorités. Casquette, lunettes de soleil enveloppantes, il débite des portions de poulet grillé à deux dollars et des bières à 60 centimes de dollar. "Il y a des endroits où on peut payer en monnaie nationale, mais ici c'est en dollars", confirme-t-il au rythme d'un récent tube de rap cubain.

Grâce aux envois de fonds des émigrés, aux pourboires des travailleurs du tourisme, aux compléments de salaire des employés de sociétés étrangères, aux paladars, ces restaurants privés autorisés depuis les années 1990, aux locations de chambres, à la prostitution et aux multiples combines qui ont fleuri avec la " période spéciale", plus de la moitié des Cubains ont accès au très convoité billet vert. Certains ne grappillent que quelques dollars de temps en temps tandis que d'autres encaissent discrètement des milliers de dollars et vivent comme des princes dans ce pays où les services de base se règlent en pesos à des prix dérisoires.

Les inégalités qui se sont creusées entre les privilégiés de la nouvelle caste dollarisée et ceux qui survivent, de plus en plus difficilement, avec leurs maigres salaires en pesos, sont visibles sur les parkings, désormais payants, qui bordent les plages de l'Est, et à l'entrée de Varadero, le principal pôle touristique cubain. Les 4 - 4 japonais et les grosses berlines allemandes côtoient les antiques américaines d'avant la révolution, les Lada rafistolées et les vieilles motos tchèques. A Guanabo ou Cojimar, où se pressent les plus démunis, les nouveaux riches préfèrent Santa Maria et surtout Varadero où l'on accède par un bout de route à péage. Un grand panneau annonce que l'euro y est bienvenu, au même titre que la devise américaine.

Même s'ils ont des dollars plein les poches, les Cubains n'ont pas accès aux luxueux hôtels construits le long de la péninsule de Varadero. "Les seuls Cubains que je vois à l'hôtel sont les employés", confirme Dunia, barmaid dans un hôtel pour étrangers. Son salaire de 230 pesos (9,2 € ), par mois, ne lui permet pas de profiter des quinze jours de vacances auxquels elle a droit tous les six mois. "Je reste à la maison", dit-elle. Les resorts, en forfaits tout compris, sont réservés aux touristes étrangers.

FORTE BAISSE DU TOURISME

Confortablement installé à l'ombre d'un amandier sur la plage publique de Varadero, avec son épouse et sa petite fille, Eduardo Busto ne cache pas que ses revenus sont nettement supérieurs à ceux de la moyenne de ses compatriotes. "Nous venons à la plage tous les dimanches. Entre le rhum, les bières et quelques extras, la journée me coûte entre 300 et 400 pesos (12-16 €)", glisse ce paysan indépendant, propriétaire d'une camionnette, qui vend plus de la moitié de sa récolte de riz et de sa production de lait sur le marché libre.

Face à la plage de Santa Maria, l'appart-hôtel Horizontes est plein. Le tourisme international a fortement baissé depuis les attentats du 11 septembre et tous les clients sont cubains. Au bord de la piscine où les enfants font trempette tandis que leurs parents sirotent des bières à l'ombre de parasols, un animateur annonce le tirage d'une tombola, sur fond de musique techno. "La chambre pour deux, facturée 36 dollars (37 €), la nuit aux touristes étrangers, coûte 36 pesos (1,44 €) aux Cubains, sélectionnés par les organisations de masse, comme la Centrale des travailleurs cubains ou la Fédération des étudiants universitaires, dans le cadre des programmes de stimulation aux travailleurs méritants. Les jeunes mariés ont aussi droit à trois jours de lune de miel à ce tarif", explique Pedro Diaz, le responsable de la sécurité de l'hôtel.

Sur la route qui ramène à La Havane, un embranchement conduit au camping de Bacunayagua. En bord de mer, au pied d'une falaise coralline, le site est superbe. Le confort des bungalows reste rudimentaire, mais les estivants, tous cubains, peuvent profiter de la mer et faire des balades à cheval pour un prix défiant toute concurrence. "Les meilleures cabanes, pour une famille de quatre personnes, coûtent 16 pesos (0,6 €) la nuit", explique Oscar Gonzalez, le président du Grupo empresarial campismo popular, une entreprise rattachée à l'Union de la jeunesse communiste qui gère 84 camps de vacances à travers l'île.

"Le concept de campismo est né avec le triomphe de la révolution. Lors d'une tournée à Pinar del Rio en 1959, Fidel a souhaité que tous les Cubains puissent profiter des richesses naturelles de l'île alors que les quelques infrastructures existantes étaient réservées avant la révolution aux touristes américains et à la bourgeoisie." Les premiers campements sont ouverts en 1981 dans la province de Pinar del Rio, avec des tentes arrivées des pays de l'Est. "Rapidement, nous avons décidé de construire des bungalows et de multiplier le nombre de camps dans les plus beaux sites de l'île. Aujourd'hui, nous disposons de plus de 20 000 lits, et un million de Cubains profitent chaque année de nos installations", annonce fièrement le jeune président. Balades dans la nature, natation, équitation, salles de vidéo, le campismoest, avec la plage, la principale option de vacances pour les Cubains. Malgré les difficultés économiques de la " période spéciale", ces quelques jours de repos en plein air restent accessibles à la majorité des bourses.

Jean-Michel Caroit


Un mois de congés payés

Camping.
La forme de vacances la plus populaire est le campismo, camping. Les terrains sont gérés par l'Etat. Des camps de vacances ont été aménagés, à travers l'île, avec des bungalows de bois et des milliers de lits. Cette année, 925000 Cubains en profiteront pour des séjours de durée variable (de 1 à 7 jours en général). C'est-à-dire à peine 10% d'une population qui représente 11,2 millions d'habitants.

Congés payés.
Les salariés (c'est-à-dire la très grande majorité de la population) ont droit à un mois de congés payés par an, parfois pris en deux périodes de 15 jours (notamment pour les employés du tourisme).

Plages.
La majorité des Cubains restent chez eux pendant les vacances et passent, de temps en temps, une journéeà la plage. Le bord de mer le plus populaire concerne les plages dites "de l'Est" (à l'est de La Havane), Cojimar et Guanabo, principalement.

Séjours à l'étranger.
Pas de possibilité de vacances hors de l'île pour les Cubains.

Le Monde daté du 25 août 2002


 
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