Heberto Padilla, un des meilleurs poètes contemporains
de langue espagnole
Mis à jour le jeudi 28 septembre 2000
LE POÈTE CUBAIN
Heberto Padilla, longtemps persécuté dans son pays en
raison de ses critiques à l'égard du président Fidel
Castro, est mort dimanche 24 septembre à Auburn, aux Etats-Unis,
d'une crise cardiaque.
L'auteur d' El justo tiempo humano (Le Juste Temps humain,
1962) et surtout de Fuera del juego - publié en France au
Seuil en 1969 sous le titre d' Hors-Jeu -, l'un des recueils de
poèmes les plus importants du XXe siècle, est mort en Alabama,
où il enseignait la littérature latino-américaine
à l'université d'Auburn. Il était âgé
de soixante-huit ans.
PERSÉCUTIONS
Né en 1932 dans la province cubaine de Pinar del Rio, Heberto
Padilla est considéré comme un des meilleurs poètes
contemporains de langue espagnole. Correspondant de l'agence cubaine Prensa
latina à Londres en 1960, collaborateur des plus prestigieuses publications
révolutionnaires, il voyagea en Europe et vécut plusieurs
années à Moscou.
A son retour à La Havane, en 1967, Heberto Padilla avait
acquis la conviction que « l'URSS était bien le produit de
l'une des nombreuses utopies délirantes du XIXe siècle ».
En 1968, il devint le premier écrivain implacablement dénigré
et humilié par les autorités du régime castriste,
après avoir obtenu le prix Julian del Casal de l'Union des écrivains
et des artistes de Cuba (Uneac). Son livre, Fuera del juego, jugé
contre-révolutionnaire, fut publié, mais l'Uneac fut contrainte
d'y ajouter une préface très critique.
A partir de ce moment, Heberto Padilla vécut un cauchemar
: persécutions, surveillance de tous les instants, accusations de
conspirer contre Fidel Castro avec des intellectuels étrangers.
Le 20 mars 1971, il fut arrêté par la police avec celle qui
était alors son épouse, la poétesse Belkis Cuza Malé,
sous l'accusation de complot contre le régime.
C'est de là qu'est partie l'« affaire Padilla ».
Pour de nombreux intellectuels, ce fut le moment de la rupture avec le
gouvernement répressif de l'île. Jean-Paul Sartre, Simone
de Beauvoir, Mario Vargas Llosa, Octavio Paz, Susan Sontag, Italo Calvino,
Maurice Nadeau, Alain Resnais, Juan Goytisolo, Federico Fellini, Marguerite
Duras ou Alberto Moravia furent parmi ceux qui signèrent une lettre
à Fidel Castro lui faisant part de leur honte et de leur colère.
MASCARADE TERRIFIANTE
Pendant sa détention, une déclaration de repentir et
de délation de ses confrères, signée de Padilla et
adressée au gouvernement révolutionnaire, commença
à circuler mystérieusement à La Havane. Libéré
le 27 avril 1971, Heberto Padilla fut contraint de lire son autocritique
devant l'Uneac, en reprenant le contenu suspect de ce courrier. Il raconte
cette mascarade terrifiante dans La Mauvaise Mémoire (éd.
Lieu commun) : sous menace policière, il fut obligé de dénoncer
ses camarades et de reconnaître ses erreurs publiquement, à
la manière des pires procès staliniens, et les écrivains
qu'il avait cités durent l'imiter.
En mars 1980, Heberto Padilla fut autorisé à rejoindre
son épouse aux Etats-Unis. Evoquant cet « exil » forcé,
Belkis Cuza Malé affirme : « Il ne s'en est jamais remis,
jamais il n'a pu se guérir de cette terreur, il en a souffert en
silence jusqu'à ses derniers instants. »
Le Monde daté du vendredi 29 septembre 2000
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