Voyage dans des contrées de Cuba peu visitées : les bagnes où sont
relégués les "asociaux" en tout genre ; cela se passe entre
1978 et 1980. Le seul lien avec la réalité connue est la référence au siège
de l'ambassade du Pérou et à l'exode vers les Etats-Unis, depuis le port de
Mariel, de plus de 120 000 Cubains.
Rafael Moya n'a que dix-sept ans lorsqu'il est emprisonné pour avoir "séduit"
et volé un marin grec : "Ma tête ne s'était pas encore faite à
l'idée que j'étais dans une prison, entouré de tapettes, et, en plus, que
j'en étais la plus fameuse.
Jusqu'alors, mes expériences avec des hommes avaient porté le sceau d'espiègleries
de la chair sans que, pour autant, je puisse me considérer comme une de
ces ravageuses qui se hurlaient des insultes d'un bout à l'autre de l'immense
baraquement."
Le seul palliatif à la destruction de la personnalité est le
travestissement d'une réalité qu'ils essaient d'étouffer sous des couches
d'imagination et de maquillage : "C'était exquis d'exécuter dans
sa stricte discipline cette scène magique de défiguration qui nous
transfigurait." Sorte de Journal du voleur, ce premier roman
d'un jeune auteur dramatique cubain, résidant à Paris, est saisissant :
le sordide et le rêve, les désirs et l'horreur s'enchaînent sans respiration,
dans un flux lymphatique et pourtant tendu ; les phrases rebondissent sans
cesse, reviennent sur elles-mêmes, mordantes ; comme si, à l'image des
captifs, elles se blessaient à essayer de rompre les parois étanches de la
bulle carcérale.
Jean-Louis Aragon