La petite salle d'escrime du gymnase de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire)
tarde à se réchauffer. Le froissement des épées se fait déjà entendre dans
ce lieu étroit. "Allez !" : le français reste la
langue internationale de l'escrime. Mais, ici, l'invitation à entamer l'assaut
prend une pointe d'accent hispanique. Voilà deux mois que les épéistes
cubains sont arrivé pour préparer les championnats du monde d'escrime de Nîmes,
qui débutent vendredi 26 octobre.
Et voilà près de dix ans que, chaque année, ce scénario se répète.
Pendant plusieurs semaines, Montceau-les-Mines devient un bastion de l'escrime
cubaine. Cette année, Ivan Treveso, Camillo Boris, Nelson Loyola et Andres
Carrillo, médaillés de bronze par équipe aux Jeux olympiques de Sydney, perpétuent
la tradition.
L'histoire est née d'une amitié. Frédéric Pabiou, directeur d'une
fabrique d'équipements d'escrime, court depuis trente ans les championnats
internationaux. "J'ai vite tissé des liens avec les équipes cubaines,
en difficulté financière, pour les aider à venir s'entraîner en Europe et se
frotter aux meilleurs mondiaux", se souvient-il. Il prend alors son bâton
de pèlerin et va frapper aux portes. La mairie de Montceau est enthousiaste à
l'idée d'accueillir quelques-uns des meilleurs tireurs mondiaux.
Les équipes sont toujours plus nombreuses à débarquer. "Nous
recevions des coups de fil du genre : Salut, nous venons d'arriver à Orly,
que fait-on ? Alors que nous ne les attendions pas...", sourit Frédéric
Pabiou.
"À Cuba le sport est vital"
Jorge Luis Chiquet est à la fois le maître d'armes, l'entraîneur, le
cuisinier, le médecin, le père et la mère de ses épéistes. "Cuba
est un petit pays, économiquement bloqué, où le sport n'a que le statut
d'amateur. La fédération n'aurait jamais les moyens de nous offrir un séjour
à l'étranger", dit-il. Les fédérations cubaines n'ont, de fait, que
peu d'autonomie financière. Les volleyeurs ne participent aux compétitions que
s'ils sont pris en charge par la Fédération internationale. Les athlètes ne
suivent le circuit des meetings que si les primes gagnées le leur permettent.
Les escrimeurs, eux, ne touchent pas de primes et les instances internationales
n'ont pas les moyens de les prendre en charge. Qu'importe : "A
Cuba, le sport est vital, assure Jorge Luis Chiquet. C'est une vitrine de
notre culture."
Dans le bureau du club local de basket, l'entraîneur cubain a passé la
toque de cuisinier. Le vice-président du club, un ami de la famille Pabiou, prête
les locaux pour les repas du midi. En dix ans, le réseau d'aide aux escrimeurs
s'est étendu. Les amis médecins soignent à titre gracieux, les amis tout
court logent la délégation. L'association ABC (Amitié Bourgogne Cuba) vient
d'être fondée pour pérenniser une logistique d'accueil qui devenait trop
lourde. Pour permettre, aussi, d'envoyer différentes aides - médicaments ou
pneus de voitures - aux habitants de l'île. Elle contacte les clubs de la région,
tout heureux de s'entraîner de temps à autre avec des champions du monde.
Les filiformes épéistes cubains se fondent désormais dans le paysage. "A
leur contact, les mentalités s'ouvrent. Etre confronté à une autre culture
vous interpelle", affirme Frédéric Pabiou. Montceau, 25 000 habitants,
est une ville calme."Oui, calme, très, très calme...",
sourient les quatre mousquetaires. Leur entraîneur n'est pas mécontent :
les tentations sont moins nombreuses que sur l'île, même si les nuits
montcelliennes résonnent parfois des penchants festifs des athlètes cubains...
Mais l'heure est à la compétition. A Nîmes, Jorge Luis Chiquet et ses hommes
espèrent atteindre la finale de l'épreuve par équipes. Rejoindre le Gard
à six dans une voiture particulière n'était sans doute pas plus aisé.
Cyril Pocréaux