Le labyrinthe de la protection des droits des musiciens cubains  

Cuba/Droits d'auteur. Ce foyer musical intense a sérieusement aiguisé les appétits des producteurs étrangers. 
 

 
 
Patrick Labesse 
Mis à jour le jeudi 23 mars 2000 

Faire le tour de la question cubaine dans les bacs des disquaires ne va pas être une mince affaire pour l'amateur, ces jours-ci encore. Les nouveautés affluent : Omara Portuondo (World Circuit), délicieuse dame de la chanson cubaine révélée au grand public dans Buena Vista Social Club ; le Septeto Habanero et Polo Montanez (Lusafrica) ; La Vieja Trova Santiaguera et Hermanas Ferrin (Virgin) ; Yakaré (Playa Sound)... Côté compilations, l'abondance perdure aussi. « On continue d'aller chercher les archives des archives », commente Rémy Kolpa Kopoul de Radio Nova ( Latino, numéro hors série mars-mai 2000 du magazine Vibrations). Mélodie sort un album rassemblant des chanteuses essentielles ( Las Divas Cubanas), la société Musisoft publie quatre nouveaux disques choisis dans le fonds de catalogue d'Egrem, la firme nationale cubaine d'enregistrements et d'éditions musicales, avec laquelle elle a signé un accord d'exploitation ( Le Monde, du 16 février 1999).La Familia Valera Miranda, groupe de musique cubaine / Youri Lenquette Virgin lance aussi sa propre collection d'« historiques » alimentée par Egrem, Sonora Cubana. 

Si depuis quelque temps on s'agite beaucoup chez les producteurs phonographiques français autour des musiques cubaines, à la Sacem, le dossier Cuba reste mince. Liée par un accord de réciprocité à l'Acdam (Agencia cubana de derecho de autor musical), qui gère les droits des auteurs cubains à La Havane, la société française compte à peine plus d'une centaine de sociétaires cubains (dont le flûtiste Maraca et Rafael Lay, directeur, jusqu'à sa mort, en 1982, de l'Orquesta Aragon). La source s'est tarie depuis que la SGAE (Societad general de autores de Espana) a développé une politique franchement volontariste - certains observateurs disent même « agressive » - en direction de l'aire culturelle latino-américaine et de Cuba en particulier. 

Compay Segundo et la Familia Valera Miranda, en tournée en France, comme des dizaines d'autres artistes cubains, sont sociétaires de la SGAE. « On ne peut pas lutter contre une société espagnole qui a ouvert des bureaux à La Havane, à Mexico, à Miami ou à Buenos Aires, déclare Claude Gaillard, directeur adjoint de la Sacem. Jusqu'au milieu des années 80, la SGAE était une toute petite chose. C'est devenu une société dynamique, moderne, structurée.  » Certains auteurs, jusqu'ici inscrits à la Sacem, ont changé de maison. « Ce reflux est naturel, tempère Claude Gaillard. Pour des raisons de proximité et de de communauté linguistique.  » 

CONVENTION DE BERNE  

A Cuba, foyer musical intense qui a sérieusement aiguisé les appétits des producteurs étrangers ces dernières années, on prend l'affaire des droits d'auteur de plus en plus au sérieux. Le pays s'est - enfin - décidé à ratifier la convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques le 20 février 1997 et l'Assemblée nationale s'apprête à voter une nouvelle loi sur ce sujet sensible. « Nous avons maintenant des accords de réciprocité avec la plupart des pays. L'Acdam a redistribué, en 1999, plus de 5 millions de pesos cubanos [250 000 dollars, 260 038 euros] à ses adhérents », confiait récemment Alicia Perea, directrice de l'Institut cubain de la musique. En fait aujourd'hui, de nombreux auteurs cubains sont inscrits dans des sociétés étrangères, après accord préalable de l'Acdam, du moins pour la gestion de leurs droits à l'extérieur de l'île, le territoire national restant exclusivement réservé à l'agence cubaine.  

En ce qui concerne les droits d'édition, le schéma est beaucoup plus complexe. L'EMC (Editora Musical de Cuba) gère désormais pour l'essentiel l'activité éditoriale à Cuba en lieu et place d'Egrem. Elle est représentée en France par différentes sociétés dont les Editions Garzon et Music Immigrante qui servent d'intermédiaires avec la Sacem. Certains titres sont signés directement par des sociétés étrangères, françaises notamment (comme Lusafrica pour ceux du Septeto Habanero, ou Warner Chappell Music France pour Compay Segundo) mais l'édition de la majeure partie des oeuvres anciennes, celles qui datent d'avant la révolution, est gérée par des sociétés américaines, installées autrefois à Cuba. Au catalogue de Peermusic, par exemple, on trouve les compositions les plus célèbres de Miguel Matamoros ( Son de la loma, Lagrimas Negras...) qui sont des standards mille fois repris. Avec l'instauration du blocus, les auteurs concernés ou leurs ayants droit... n'ont plus eu aucune nouvelle de leurs droits d'édition. Certains s'en sont plaints, affirmant que Peermusic prétendait indûment détenir des titres qui ne lui appartenaient pas. La nouvelle situation due au blocus empêchait évidemment toute vérification sur l'existence des contrats contestés. 
Patrick Labesse  


Compay Segundo et La Familia Valera Miranda en tournée 

Le conte de fées continue pour Compay Segundo. En attendant le prochain album, dont l'enregistrement est prévu avant l'été, Calle Salud, le dernier, s'est déjà vendu à 110 000 exemplaires (une version augmentée de quatre inédits vient de sortir chez East West) et ses concerts attirent toujours un vaste public. 

Famille de musiciens depuis plusieurs générations, les Valera Miranda entretiennent la flamme du son avec talent, notamment Felix Enrique Valera, qui joue du cuatro (guitare à quatre paires de cordes) avec une étonnante invention jazzy (CD La Familia Valera Miranda, A Cutino, Naïve). Ces deux formations sont en tournée. Compay Segundo, après Paris, le 23 mars (complet), sera à Clermont-Ferrand le 25, à Lyon le 28 et à Montpellier le 30. La Familia Valera Miranda sera à Agen le 26 mars, à Paris le 30, à Lille, pour le festival Jazz' n'Jazz, le 31, à Rouen le 1er avril, à Lyon le 6, à Dunkerque le 31 mai, à Coutances, pour le festival Jazz sous les pommiers, le 3 juin. 

Le Monde daté du vendredi 24 mars 2000

 
 
 
 
 
 
 
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