Mort de Jesus Diaz, romancier cubain exilé
Le romancier cubain Jesus Diaz est mort, jeudi 2 mai, dans son sommeil,
sans avoir eu le temps de voir publier, en France, la grande histoire d'amour
qu'il promettait depuis le milieu des années 1990. Ce livre qui, le premier
dans son œuvre, ne revient pas douloureusement sur le territoire cubain, celui
d'où l'auteur avait lui-même été chassé, mais conte l'histoire d'un
personnage capable de mourir pour la femme qu'il aime (à paraître chez
Gallimard en janvier 2003 sous le titre Sibérienne).
Comme beaucoup d'exilés, Jesus Diaz avait laissé une grande partie de lui-même
dans l'île où il était né, en 1941 et dont il a dû s'éloigner, en 1991,
sous la pression du gouvernement castriste. De livre en livre, ce romancier
subtil et raffiné, qui vivait et travaillait en Espagne où il animait la
remarquable revue Encuentro, a examiné sous toutes ses coutures le rêve
effondré de sa jeunesse révolutionnaire et les séquelles d'un idéal dévoyé.
Une phrase de son roman La Peau et le Masque (Métailié, 1997) résume
assez bien les raisons pour lesquelles il s'est toujours acharné à observer
les rouages du système qu'il avait quitté : "Ce n'est pas que je
veuille parler de politique, mais que, tout simplement, je ne peux l'éviter,
explique le personnage principal du livre. Voilà trente-cinq ans que la
politique, comme la mer, entoure, lèche et pénètre Cuba de toutes
parts." La composante profondément affective et même physique des
liens qui unissaient Jesus Diaz à Cuba se lit clairement dans la formulation de
ce passage. Et rappelle les débuts du jeune homme fantasque dont la révolution
manqua contrarier la vocation littéraire. Décidé à devenir écrivain depuis
l'enfance, mais aussi passionné par la politique, Jesus Diaz s'engagea dans des
associations d'étudiants, des milices révolutionnaires et crut à la
possibilité de transformer le monde par la manière forte. Un espoir qui lui
resta longtemps logé au cœur, même après ses déconvenues littéraires.
Car en même temps qu'il militait et qu'il dirigeait la mythique revue El
Caïman barbudo (Le caïman barbu), supplément littéraire du journal Juventud
rebelde (Jeunesse rebelle), et créait la revue de sciences sociales Pensamiento
critico, Jesus Diaz avait publié un premier livre, qui sera traduit en français
par les éditions Maspero (Les Années rudes, 1974). Après ce recueil de
nouvelles, qui lui vaudra le prix Casa de las Americas à l'âge de 23 ans, il
écrit un roman consacré au parcours politique d'un jeune homme durant la première
phase de la révolution cubaine. Or cet ouvrage, qui doit paraître en octobre 2002
aux éditions Métailié sous le titre Les Initiales de la terre, sera
censuré sans pitié - et sans explications - par le pouvoir, qui lui retire
aussi la direction du Caïman barbudo et finit par liquider Pensamiento
critico (l'aventure du Caïman sera restituée, des années plus
tard, par le biais d'une fiction, Paroles perdues, paru chez Métailié
en 1995). Un traumatisme dont Jesus Diaz mettra des années à se remettre,
abandonnant la littérature quatorze ans durant pour se consacrer à l'écriture
de scénarios et à la réalisation de documentaires ou de deux longs-métrages
de fiction.
Réfugié à Berlin, dès 1991, puis à Madrid, Jesus Diaz se consacra à l'écriture,
à l'enseignement et à l'animation de la revue Encuentro, qui deviendra
bientôt un pôle de référence pour tous les intellectuels cubains. A travers
cette publication, où se rencontrent des Cubains en exil et d'autres restés
sur l'île, Jesus Diaz affirmait que "la culture cubaine est une"
(Le Monde du 29 mai 1998). "Plate-forme de dialogue" et
"lieu essentiel de la transition démocratique à Cuba", selon
son ami l'éditeur Gustavo Guerrero, la revue devra survivre à la disparition
de son créateur. Celui qui mettait toutes ses forces dans la construction d'un
nouveau visage pour son pays n'avait cependant pas normalisé ses relations avec
Cuba. Dans le roman très autobiographique qu'il était en train d'écrire, le
personnage principal devait finir par retourner à Cuba, mais mort.
Raphaëlle Rérolle
Le Monde daté du 05.05.02
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