Jimmy Carter plaide pour des réformes démocratiques dans un
discours historique au peuple cubain
La Havane de notre envoyé spécial
Historique, le voyage de Jimmy Carter à Cuba l'est devenu au troisième jour
de sa visite, mardi 14 mai. Pour la première fois les Cubains ont entendu
sur les ondes de la radio et de la télévision nationales un haut dignitaire étranger,
invité personnel de Fidel Castro et ancien président américain de surcroît,
critiquer le système de parti unique et demander des réformes démocratiques.
Dans un discours prononcé en présence du chef de la révolution cubaine, de
plusieurs de ses ministres et de centaines de professeurs et d'étudiants de
l'université de La Havane, Jimmy Carter a évoqué le Projet Varela, une
campagne de signatures lancée par des groupes de l'opposition modérée, visant
à introduire des réformes par la voie constitutionnelle. Cette initiative, qui
a déjà recueilli plus de 11 000 signatures, n'avait jusqu'alors eu aucun
écho dans les médias officiels, les seuls autorisés.
Dans son discours, qu'il a lu dans un espagnol parfois hésitant, M. Carter
s'est aussi prononcé pour une normalisation des relations entre Washington et
La Havane. "Etant donné que les Etats-Unis sont la nation la plus
puissante, c'est à nous de faire le premier pas, a-t-il lancé. J'espère
que le Congrès lèvera bientôt les restrictions aux voyages entre les
Etats-Unis et Cuba, autorisera des relations commerciales ouvertes et révoquera
l'embargo" (imposé par les Etats-Unis à Cuba depuis 1960). L'ancien
président a ajouté que "ces restrictions" n'étaient pas la
cause des problèmes économiques de Cuba. "Cuba maintient des relations
commerciales avec plus de cent nations et peut par exemple acheter des médicaments
meilleur marché au Mexique qu'aux Etats-Unis, mais l'embargo congèle l'impasse
actuelle, provoque la colère et le ressentiment, restreint la liberté des
citoyens des Etats-Unis et est un obstacle à l'échange d'idées et au respect
mutuel", a-t-il expliqué sous le regard attentif du leader cubain,
qui, depuis l'arrivée de son hôte, a remisé sa tenue militaire.
Enrobant ses propos de louanges aux progrès de la santé, de l'éducation et
de la recherche scientifique dans l'île, M. Carter est arrivé au message
central de son discours : "Cuba a adopté un gouvernement
socialiste qui ne permet à son peuple d'organiser aucun type de mouvement
d'opposition. Sa Constitution reconnaît la liberté d'expression et
d'association, mais d'autres lois nient ces libertés à ceux qui ne sont pas
d'accord avec le gouvernement." Reconnaissant les déficiences de son
pays, où la peine de mort frappe plus durement les pauvres, les Noirs et les
malades mentaux, et où il a fallu réformer les lois électorales "pour
corriger les problèmes surgis en Floride il y a dix-huit mois", il a
invoqué la Déclaration universelle des droits de l'homme, signée par Cuba en
1948, et non "la définition de la démocratie des Etats-Unis",
pour inciter l'île au changement. Il a alors présenté le Projet Varela :
"Lorsque les Cubains exerceront ce droit pour changer pacifiquement
leurs lois par un vote direct, le monde verra que ce sont les Cubains et non les
étrangers qui décident de l'avenir de ce pays."
A la fin du discours, Fidel Castro s'est levé pour applaudir puis il a invité
Jimmy Carter à partager, plus tard dans la soirée, une partie de base-ball, le
sport qui unit dans une même passion Américains et Cubains. La réplique a été
donnée lors d'une session de questions qui a tourné au dialogue de sourds sur
deux conceptions diamétralement opposées de la démocratie. Triés sur le
volet, quatre étudiants et le doyen de la faculté de droit ont demandé
comment on pouvait parler de démocratie alors que des centaines de millions
d'habitants de la planète étaient privés des droits les plus élémentaires
et ont dénoncé le Projet Varela comme une initiative importée de l'étranger,
visant à détruire l'ordre institutionnel en utilisant de manière honteuse le
nom d'un père fondateur de la nation cubaine. Avec diplomatie, en anglais cette
fois, Jimmy Carter a repris son message, profitant des questions pour demander
aux autorités de publier le Projet Varela dans Granma, le quotidien du
Parti communiste, et d'autoriser l'Eglise catholique à ouvrir des écoles.
La dissidence cubaine s'est félicitée du discours. Il "a dépassé
toutes les attentes du mouvement en faveur des droits de l'homme et de la démocratie",
a déclaré au Monde Elizardo Sanchez, l'un des principaux porte-parole
de l'opposition modérée. "Nous avions bien sûr l'espoir qu'il évoquerait
le thème des droits de l'homme, mais nous ne pensions pas qu'il le ferait d'une
manière aussi profonde et large. Il faut maintenant espérer que le
gouvernement publie ce discours dans les journaux." Elizardo Sanchez
estime toutefois que l'impact du Projet Varela restera "limité à court
terme, car l'opinion publique est bridée par le système totalitaire. Il s'agit
d'un gouvernement fondamentaliste, d'une sorte de talibanisme politique tropical
basé sur deux axiomes répétés à satiété par Fidel Castro : Cuba est
le pays où les droits de l'homme sont les mieux respectés et qui a le
gouvernement le plus démocratique de la planète".
Jean-Michel Caroit
Le Monde daté du 16 mai 2002
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