Un surprenant écart
envers Cuba
Mis à jour le vendredi 8 octobre
1999
EST-CE UN EFFET secondaire de
la fin de règne de Federico Mayor qui explique le surprenant relâchement
observé dans la publication de l'organisation, Le
Courrier de l'Unesco, dans sa livraison du mois de septembre ? Le lecteur
y découvre, en effet, un texte impitoyable sur Cuba. L'auteur, un
romancier cubain, Antonio José Ponte, lauréat de plusieurs
prix de la littérature officielle à La Havane, semble avec
cette production avoir choisi de prendre lui aussi son ticket pour l'exil
permanent ou la dissidence.
Le Courrier de l'Unesco a pour
devise de ne rien publier de polémique pour ne faire de peine à
aucun des 186 pays membres. Plus encore, sous la houlette de Federico Mayor,
l'un des plus fidèles supporteurs de Fidel Castro, la réalité
cubaine n'a jamais été traitée que sur le mode de
la complaisance active avec les autorités. C'est en effet à
Federico Mayor que Fidel Castro doit en partie d'avoir été
reçu, en mars 1995, par François Mitterrand à l'Elysée.
Le premier ministre, Edouard Balladur,
ne l'avait pas rencontré et le chef de la diplomatie française,
Alain Juppé, n'avait pas assisté aux entretiens en prétextant
des contraintes d'emploi du temps. Le texte d'Antonio José Ponte
traite d'un beau sujet : avoir vingt ans à Cuba. Dans cet article,
dévastateur, l'écrivain explique dans un propos liminaire
que, dans l'île des Caraïbes, « le temps n'avance pas
», parce qu' « il n'y a pas de passé ».
Il n'y a pas de passé parce que la génération antérieure
s'est occupé de tout, parce que tous les changements ont été
effectués avec la révolution de 1959. Aussi, « avoir
vingt ans à Cuba, écrit-il , c'est avoir vingt ans
pour toujours. Il peut s'agir d'un magnifique don ou d'une malédiction
raffinée ».
ASPIRATION AU VOYAGE
Il soutient qu'interroger un jeune
cubain à propos de l'avenir ou de son destin revient à lui
demander une adresse erronée, parce que « le futur n'existe
qu'ailleurs, pas ici ». Cela explique, selon lui, pourquoi les
uns fabriquent des radeaux pour fuir pendant que les autres tentent leur
chance à la loterie migratoire des Etats-Unis (20 000 visas sont
accordés chaque année par Washington). Il estime même
que ceux qui se prostituent, pour quelques dollars, avec un étranger
n'aspirent, en fait, qu'au voyage. « A Cuba, c'est sûr »,
un jeune de vingt ans ne pense qu'à partir.
La raison avancée à cette
obsession de fuir l'île, est « qu'il n'existe aucune possibilité
de fonder quelque chose dans un pays qui est à la fin de son histoire
». Etre jeune, écrit-il, « incline à la
quête d'un espace qu'aucune génération antérieure
n'aurait foulé ». Et cela, à Cuba, est impossible.
Pour Antonio José Ponte, une expérience sociale comme la
révolution de 1959 « qui s'est employée pendant
des années à faire fi des lois économiques les plus
élémentaires et qui inflige l'ascétisme comme mode
de pensée et la pauvreté dans le quotidien ne peut engendrer
qu'une jeunesse d'une avidité hors du commun ». Avoir
vingt ans à Cuba, « c'est être obsédé
par l'argent ».
L'auteur dit l'impossibilité
de conjuguer les verbes « dans un temps qui ne s'écoule
pas, dans une athmosphère sous vide ». Et, dans un hommage
à l'éducation dispensée dans le pays, il avance que
si la formation des jeunes cubains est bonne, elle l'est « pour
leur permettre de vivre au loin, à l'extérieur ».
Mais le plus terrible, pour Antonio José Ponte, est que le jeune
de vingt ans prend toute la mesure de l'impossibilité de gérer
sa propre vie. A Cuba, conclut-il « on découvre, bien avant
vingt ans, qu'il manque ce qui s'appelle la liberté ».
Alain Abellard
Le Monde daté du samedi 9
octobre 1999
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