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Mis à jour le jeudi 6 avril 2000
Je tiens d'abord à rappeler
que le petit Elian Gonzalez a survécu à un naufrage, voici
quatre mois. Il a été sauvé par des dauphins et deux
pêcheurs américains. Sa mère et trois autres personnes
sont mortes alors qu'elles achevaient la traversée de Cuba aux Etats-Unis
sur une embarcation équipée d'un moteur de fortune. Heureusement,
l'enfant avait de la famille à Miami et celle-ci l'a recueilli.
Le malheur pouvait être plus grand encore, l'enfant pouvait y perdre
la vie, mais il s'en est tiré et il est apparemment en bonne santé,
chez une cousine qui lui a prodigué la tendresse d'une mère,
et des grands-oncles et tantes qui le protègent.
Le père, au début, quand
Castro lui permettait encore de s'exprimer, loin d'exiger d'aller chercher
son fils, a déclaré qu'il n'avait « rien perdu à
Miami » et que, s'il y allait, ce serait « avec un fusil
pour régler quelques comptes ». Logiquement, le père
devrait se rendre à Miami, y rester un mois, préparer l'enfant
à son retour s'il s'avère qu'il veut vraiment retourner et,
dans le cas contraire, faire venir le reste de sa famille. Tel serait,
tout au moins, le seul raisonnement acceptable dans une affaire semblable.
Maintenant, Castro annonce que le père est prêt à partir
chercher son enfant, non dans le foyer où il réside avec
sa famille, mais à Washington, et il prétend déplacer
avec lui dans cette ville d'Amérique toute la province de Cardenas
où vit Juali Gonzalez. Les camarades de classe, l'institutrice,
la belle-mère et le demi-frère accompagneront le père.
Pas question qu'ils voyagent seuls, ils seront encadrés par des
psychologues et des agents de la sécurité cubaine. Elian,
pour Castro, ce n'est pas suffisant : il veut maintenant expédier
aux Etats-Unis des enfants de six ans pour y récupérer leur
petit camarade d'idéologie ; c'est le terrorisme au biberon.
J'imagine les plaisanteries qui circulent
parmi les onze millions de Cubains : ils sont tous prêts à
partir chercher Elian, et tous prêts à rester là-bas
avec lui. Précisons, s'il en est besoin, que personne, dans cette
délégation, ne pourra prendre un contact qui ne soit étroitement
surveillé par les agents castristes.
Et si le père s'obstine à
vouloir jouer les tontons flingueurs, Castro trouvera bien le moyen d'en
faire porter la faute à l'impérialisme. Le cas de cet enfant
a été utilisé par Castro pour ses manoeuvres politiques.
Et si j'accuse le seul Castro d'utilisation politique, c'est pour la raison
toute simple que le dictateur était déjà en train
de vociférer à La Havane alors que la nouvelle du naufrage
n'avait pas encore été rendue publique à Miami.
Je trouve lamentable l'article de Gabriel
Garcia Marquez intitulé « Naufrage en terre ferme »
( El Pais du 19 mars). Jouer avec la vie d'un enfant et répéter
les mensonges que lui dicte son dictateur me semble, de sa part, d'un cynisme
extrême. Oser souiller l'image de la mère morte, c'est pathétique.
Cela fait un bout de temps que Garcia Marquez devient un personnage lamentable.
Son obsession du pouvoir en est la meilleure preuve. Copain de Clinton
et de Castro, il joue le rôle de l'entremetteur. Je l'imagine bien
négociant l'échange de détenus mutinés dans
une prison américaine contre un enfant rescapé du plus sanguinaire
des requins, le requin Castro. Son attitude est franchement obscène.
Aussi obscène que l'était
son regard à La Havane, un jour de décembre 1 989, lors de
la réception du Festival du nouveau cinéma latino-américain,
quand il s'est approché de moi afin de me présenter ses condoléances
pour le décès de mon mari, mort dans un accident d'avion
le 3 décembre de la même année. Il me dit - et j'ai
senti qu'il exultait en me donnant cette précision - qu'il avait
été le premier, avec Fidel, à connaître la chute
de l'avion. Je me demandais s'il s'agissait vraiment d'un simple accident,
et ce doute, qui me hante toujours, s'était répandu dans
tout le pays comme une traînée de poudre : la chute de l'avion
n'avait-elle pas été provoquée ? Parmi les passagers,
il n'y avait que deux Cubains, les autres étaient des Italiens qui
se rendaient à Milan. Mon mari, José Antonio Gonzalez, avait
été, bien avant notre mariage, un proche du général
Abrantes et il connaissait, par l'écrivain Norberto Fuentes, le
but des voyages parisiens d'Antonio de la Guardia.
Les gens racontaient qu'il avait été
prévu que Raul Castro prendrait cet avion pour se rendre en Tchécoslovaquie
via Milan et qu'il s'agissait d'un attentat dirigé contre
lui, mais qu'à la dernière minute, il avait décidé
de prendre un autre vol. Gabriel Garcia Marquez essayait de me calmer.
En cet instant, me revint à l'esprit une nuit claire et constellée
dans une rue de Miramar : un Prix Nobel giflait une jeune et célèbre
modèle, dont on murmurait qu'il était l'amant. Garcia Marquez
n'a pas soutenu Heberto Padilla, le poète emprisonné, quand
la femme de celui-ci, Belkis Cuza Malé, le lui a demandé
; pas plus qu'il n'a écouté les supplications d'Ileana de
la Guardia, quand elle lui a demandé d'intercéder auprès
de Castro pour qu'il ne fasse pas fusiller son père.
Ces derniers jours, Fidel Castro a
accusé les exilés cubains de Miami d'être une mafia
terroriste. Le président Clinton a décidé de ne pas
défendre la communauté cubaine - comme il l'a toujours fait
pour les communautés noires ou juives - bien que cette communauté
soit l'une des plus travailleuses, les plus prospères et les plus
honnêtes (tout au moins l'a-t-elle été jusqu'en 1980,
date à laquelle Castro a contaminé les bateaux de l'exode
de Mariel en y faisant embarquer des délinquants et des criminels
de droit commun). La douleur de l'exil cubain n'a pas été
reconnue internationalement. A Miami et dans le monde entier, il y a des
femmes qui ont perdu mari et enfants, il y a des enfants sans parents et
des parents sans enfants. Ce n'est un secret pour personne que Castro a
mis une bombe dans la famille. Castro héberge des terroristes de
PFFA dans l'île et n'insistons pas sur les guérillas, les
enlèvements organisés par le commandant Pineiro, récemment
décédé, mari de Martha Harneker, la sexologue marxiste
qui a avoué il y a quelques jours qu'elle menait à Cuba une
vie « austère ». Son histoire me ferait de la peine
(ou plutôt du pénis !) si elle ne me faisait pas rire.
Qui est le terroriste, alors ? Il a
également accusé l'exil de vouloir assassiner l'enfant. Tant
Guillermo Cabrera Infante que moi-même, quand nous sommes allés
donner pacifiquement des conférences en différents points
du globe, nous avons eu droit à des mitines de repudio (des
manifestations organisées de réprobation). Pas besoin de
faire de longues enquêtes pour se rendre compte que les gens qui
se prêtent à ce type d'activités sont des agents castristes
payés par le régime ou des membres de partis politiques,
particulièrement de gauche, dont les campagnes ont bien souvent
contribué à saigner le peuple cubain. Cabrera Infante a reçu
d'étranges envois de boîtes de cigares de l'île.
N'a-t-on pas entendu parler de quelque
chose de semblable, récemment, à propos d'un journaliste
espagnol ? A ce détail près que les cigares de l'écrivain
pourraient bien être empoisonnés. En ce qui me concerne, on
m'a suggéré de faire attention à ma nourriture, elle
pourrait être contaminée par un virus. Quelqu'un m'a même
conseillé de ne jamais accepter une bouteille déjà
ouverte. Naturellement, nous n'arriverions jamais à rien prouver.
De la même manière, aujourd'hui, Elian ne peut rien prouver.
Il ne rentrera pas dans un foyer au sein de sa famille, il rentrera dans
une dictature et son père sera le dictateur. On dirait que, devant
Castro, nous devrions tous nous comporter comme des enfants sans défense.
En 1993 Castro a ordonné l'assassinat
de vingt-trois enfants, et personne n'est disposé à s'en
souvenir. Je ne doute pas un instant que Castro serait capable de tuer
Elian et son père, de les empoisonner avant que l'enfant quitte
Miami, pour pouvoir réaffirmer ce qu'il a déjà annoncé
(et je vois d'ici le roman chaotique qu'en tirera Garcia Marquez
: Chronique d'un infanticide annoncé), à savoir que
l'enfant a été rendu malade par les « extrémistes
mafieux anticastristes de Miami ». Epithètes diffamatoires
répercutées dans la presse du monde entier : extrémistes,
Jésus-Christ, le Mahatma Gandhi, Martin Luther King, l'étaient
aussi - pour ne citer que ces quelques noms. Fidel Castro est capable de
tout cela, et de bien plus encore. Parce que Fidel Castro est un fou, dont
le cerveau, en pleine déliquescence sénile, déraille
dangereusement. Fidel Castro a les moyens, avec son département
de biotechnologie et de génétique, d'expédier aux
Etats-Unis des virus dévastateurs : il s'en est vanté en
de nombreuses occasions.
Mieux vaut pour l'enfant d'être
Interrogé par la journaliste Diana Sawyers que de tomber entre les
mains des « psychologues » castristes (« psychologues
», en argot cubain, signifie agents de la sécurité
de l'Etat) qui se sont également occupés des soldats cubains
qui rentraient « repentis » d'Angola. J'ai pu parler avec certains
d'entre eux à l'hôpital Calixto-Garcia, les zombies des films
d'horreur américains n'étaient rien en comparaison ; ils
avaient été abaissés au dernier niveau de l'aliénation
par l'emploi de puissants médicaments et de la torture psychologique.
Et posez donc la question à la dissidente aveugle qui, il y a quelques
mois, a été internée à l'hôpital psychiatrique.
Après quoi elle a été expédiée à
Miami. Et maintenant, on ne la laisse pas retrouver sa fille.
Mais tous les gouvernements du monde
soutiennent le criminel. Les crédits affluent dans les coffres castristes.
Et les aides économiques que le dictateur reçoit de l'Union
européenne et qu'il continue de dilapider, allons donc, pourquoi
se gêner ? Pendant ce temps, les enfants cubains peuvent bien se
faire bouffer par les requins.
Zoé Valdés
Zoé Valdés est écrivain.
(Traduit de l'espagnol par François Maspero.)
Le Monde daté du vendredi
7 avril 2000 |