La ligne officielle de Cuba dans la crise internationale ouverte depuis les
attentats du 11 septembre a été définie par le chef de l'Etat, Fidel
Castro, comme l'affirmation d'une grande prudence, bornée par la compassion et
un pacifisme convenu. Son expression s'en ressent singulièrement dans les médias
officiels, contrôlés par les autorités, rompus au prosélytisme belliqueux
envers "la grande puissance impérialiste". Ils ont largement
rendu compte de l'événement puis suivi les préparatifs de la riposte américaine
dans des termes plus critiques - sur le thème "Non au terrorisme, non
à la guerre" - mais beaucoup moins virulents qu'à l'accoutumée.
L'éditorial publié lundi 7 octobre, au lendemain de la riposte militaire
américaine en Afghanistan, dans Granma (l'organe officiel du comité
central du Parti communiste de Cuba), confirme la ligne adoptée par La Havane.
Sous le titre "La guerre a commencé", le texte reprend avec une
relative modération les arguments développés par Fidel Castro au cours des
dernières semaines, même s'il juge qu'avec le choix d'une offensive militaire "le
remède est pire que le mal".
Au cours des dernières semaines, les médias officiels ont évacué de leurs
pages les habituelles tribunes ouvertes destinées à protester contre la détention
de cinq Cubains jugés coupables d'espionnage à Miami (Floride). De même, ils
n'ont pas donné une seule ligne sur l'arrestation, vendredi 21 septembre,
à Washington, d'une Américaine âgée de quarante-quatre ans, Ana Belen
Montes, analyste du Pentagone pour les affaires cubaines et accusée
d'espionnage au profit de Cuba depuis 1996. Fidel Castro n'a fait aucune déclaration
sur ce sujet.
Les raisons de cette attitude se trouvent dans la déclaration du président
George W. Bush qui, le 20 septembre, dans son discours au Congrès américain,
a déclaré que chaque pays devait choisir son camp dans la lutte contre le
terrorisme. La sommation américaine "Etre avec nous ou avec les
terroristes" a été dénoncée par Fidel Castro comme inadmissible.
Haussant le ton par rapport aux deux premières semaines qui ont suivi les
attentats, il a estimé que les propos du président américain signifiaient "la
fin de l'indépendance des Etats, sans exception aucune, et la fin des fonctions
de l'ONU".
RELATIVE INQUIÉTUDE
Pour éviter cette alternative et entreprendre un combat international contre
le terrorisme "il suffirait de donner à l'ONU les prérogatives enlevées
et que l'Assemblée générale, l'organe le plus universel et représentatif de
cette institution, soit le centre de cette lutte pour la paix", a assuré
Fidel Castro.
Mais derrière cette indignation perce une relative inquiétude des officiels
cubains, qui redoutent d'être eux-mêmes victimes des mesures de rétorsion
annoncées par Washington. La présence de Cubains dans les camps d'entraînement
d'Oussama Ben Laden en Afghanistan a été évoquée à différentes reprises
aux Etats-Unis, de même que les liens entretenus depuis plusieurs décennies
par La Havane avec des Etats accusés d'apporter leur soutien à des
organisations terroristes.
Même si le chef de l'Etat cubain a déclaré, il y a peu de temps, que l'époque
n'est plus à "la lutte armée sur le continent latino-américain",
les contacts des Cubains avec la guérilla colombienne d'obédience guévariste,
l'Armée de libération nationale (ELN), sont avérés. Le dirigeant historique
de ce mouvement, Manuel Perez, un prêtre d'origine espagnole, a fait de
nombreux séjours à Cuba (pour y être soigné, entre autres) avant de mourir
dans les montagnes colombiennes, en 1998. Cette guérilla, qui a fait du
dynamitage des infrastructures pétrolières et des enlèvements d'étrangers
avec demande de rançon son fonds de commerce, figure parmi les vingt-neuf
organisations terroristes (avec deux autres groupes armés colombiens) répertoriées
par les autorités américaines.
De même l'accueil bienveillant accordé par La Havane aux terroristes
de l'ETA demeure une pomme de discorde dans les relations entre La Havane
et la communauté internationale. Le récent procès de Miami, dans l'Etat de
Floride, d'un réseau d'espions cubains a confirmé que, malgré la chute du mur
de Berlin, La Havane avait toujours une obsession du renseignement
militaire. Pour toutes ces raisons, l'île caraïbe, qui est (avec la Corée du
Nord, l'Irak, l'Iran, la Libye, la Syrie et le Soudan) considérée par le département
d'Etat comme l'un des sept pays "soutenant le terrorisme
international", a adopté un profil bas et n'a pas cessé de donner des
gages de bonne volonté.
Le jour même des attentats, Fidel Castro a publiquement condamné ces actes
et demandé à ses concitoyens de s'incliner devant "la douleur du
peuple américain". Coopératif, le gouvernement cubain a même proposé
une aide humanitaire à son ennemi juré et assuré que Washington l'avait
sollicité pour obtenir toute information pouvant concerner la vague d'attentats
du 11 septembre. Les contacts directs entre les officiels des deux pays,
qui n'entretiennent pas de relations diplomatiques, se limitent en général aux
problèmes liés à l'immigration clandestine de Cubains.
Commentant le discours de George W. Bush face aux deux Chambres, Fidel
Castro a même fait montre d'un tact inhabituel indiquant : "Je
n'emploierai pas d'adjectifs ni de mots ni de jugements offensants envers
l'auteur du discours, ce qui serait absolument inutile et inopportun à des
moments aussi graves et tendus que ceux que nous vivons et qui exigent de la réflexion
et du calme." Pour ne laisser aucune prise aux accusations de collusion
avec les terroristes, Fidel Castro déclare en boucle depuis quatre semaines que
Cuba, qui depuis "quarante-deux ans est le pays qui a le plus souffert
du terrorisme", est disposé à "coopérer avec tous les autres
pays du monde à la suppression totale du terrorisme."