L'immigration cubaine découvre l'Espagne
Madrid de notre correspondante
L'Espagne, qui prend très au sérieux son rôle de gendarme anti-immigration
illégale à la porte sud de l'Europe, a pratiquement blindé le détroit de
Gibraltar, avec vedettes rapides et radars pour se protéger des Marocains et
des Africains. Elle a signé des accords pour contrôler les flux migratoires
avec une demi-douzaine de pays. Enfin, il lui est même arrivé de rapatrier
chez eux en charters payés par le ministère de l'intérieur des centaines de
clandestins équatoriens. Or, vient de surgir un nouveau problème :
l'immigration illégale cubaine.
Le nombre des illégaux cubains a triplé depuis septembre et atteint plus de
1 600. Selon le Centro Cubano de Madrid, qui leur fournit une première
assistance, il en est même arrivé 150 en dix jours. Comment ? Tout
simplement par avion. La filière a semble-t-il été inventée dans la province
cubaine de Las Villas, au centre de l'île, par plusieurs femmes russes qui ont
épousé des Cubains.
ALLER SIMPLE POUR MADRID
Il suffit - si l'on peut dire, car le voyage coûte de 1 000 à 2 000 dollars,
sans compter environ 300 dollars pour obtenir les papiers de sortie de Cuba
en règle - d'avoir une lettre d'invitation en Russie d'un résident de ce pays
et de s'offrir un billet obligatoirement aller-retour La Havane-Madrid-Moscou.
Il va de soi qu'à l'escale madrilène le voyage se transforme en aller
simple et s'interrompt définitivement à l'aéroport de Madrid-Barajas, où les
Cubains demandent l'asile politique. L'obtiennent-ils ? En général non,
faute de pouvoir vraiment vérifier leur situation, mais on leur accorde une
sorte d'asile humanitaire qui stipule qu'ils ont soixante jours pour trouver un
travail et se faire ainsi régulariser. Sans quoi ils devront être renvoyés
chez eux. Or, si l'on en croit Maria Comella, la vice-présidente du Centro
Cubano, "beaucoup sont des hommes jeunes et souvent sans une très
grande formation, venus en Espagne en laissant leur famille à Cuba pour tenter
de refaire leur vie ici et leur envoyer de l'argent. Ils ne trouvent rien dans
le délai des soixante jours impartis, mais aucun n'a été inquiété".
Noel Ojeda est là pour témoigner de cette magnanimité des services
d'immigration espagnols. Cet ingénieur qui a fait, dit-il, cinq ans de prison
pour ses idées est arrivé à Madrid en août. Son voyage, il le compare au début
des exodes massifs tolérés et provoqués par le gouvernement cubain il y a
quelques années : "En ce moment, cela va mal, alors le fait que
des gens partent prétendument pour Moscou arrange -La Havane-. C'est une
soupape de sécurité pour éviter une crise plus grave."
Depuis, Noel, devenu l'un des coordinateurs du mouvement des prisonniers
politiques cubains à l'étranger, n'a pas trouvé de travail pour autant. Que
l'Espagne du conservateur José Maria Aznar, qui, dès ses débuts, en 1996,
avait croisé le fer avec Fidel Castro, s'efforce de regarder de l'autre côté
avec bienveillance ne l'étonne pas : "C'est un pays généreux
pour nous, l'opinion nous appuie contre la dictature." Attitude que
Maria Comella qualifie d'"intelligente attitude humanitaire
espagnole".
L'ennui, c'est que certains immigrés clandestins venus d'autres pays où la
situation est précaire et les droits de l'homme pas forcément glorifiés se
disent discriminés par ce qu'ils appellent "la complaisance politique
espagnole envers les immigrés cubains". C'est le cas notamment des
Colombiens. Cinq d'entre eux, retenus à Barajas depuis plusieurs jours, ont déposé
une plainte pour discrimination raciale et se sont mis en grève de la faim pour
obtenir le même traitement que les Cubains.
Marie-Claude Decamps
Le Monde daté du 6 janvier
2002
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