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 A Cuba, ce "délicieux despotisme" qui réjouit Castro

 LE MONDE | 16.02.02 | 12h39

Saint-Domingue de notre correspondant régional

 

L'importante participation française à la 11e Foire du livre de La Havane, qui prend fin dimanche 17 février, contribuera-t-elle "au débat d'idées au sein de la société cubaine, particulièrement sur la liberté d'expression et la liberté de création", comme l'a souhaité le porte-parole du Quai d'Orsay, François Rivasseau ? Si la France était l'invitée d'honneur de cette manifestation, au grand dam d'un groupe d'exilés résidant à Paris, la vedette en a sans nul doute été Ignacio Ramonet, le directeur du Monde diplomatique.

Dès son arrivée à La Havane, Ignacio Ramonet a été l'objet d'attentions particulières de la part du commandant en chef de la révolution castriste. Après l'avoir interrogé sur le dernier Forum social mondial de Porto Alegre (Brésil), dont le directeur du Monde diplomatique était l'un des organisateurs, Fidel Castro a ordonné que la présentation de son livre Propagandes silencieuses se convertisse en événement. Le lancement de la version en espagnol de ce recueil d'essais critiques sur la mondialisation des moyens de communication de masse s'est fait au théâtre Karl-Marx, le plus grand de La Havane. Quelque 5 000 invités ont écouté Fidel Castro chanter les louanges de cet ouvrage qui, a-t-il dit, "enrichit notre arsenal d'idées en réfléchissant sur les fissures qui caractérisent ce modèle économique destructeur". Afin de "donner une diffusion massive aux solides arguments" développés par Ignacio Ramonet, le président cubain a ordonné que le tirage de Propagandes silencieuses (imprimé sur les presses du quotidien du parti unique, le Parti communiste cubain, Granma), qui devait être de dix mille exemplaires, soit multiplié par dix. Dans son exposé intitulé "Un délicieux despotisme", l'auteur a dénoncé la mondialisation, et le "nouveau maccarthysme", qui assimile ses opposants à des terroristes.

Ignacio Ramonet a résumé la thèse centrale de son ouvrage analysant "comment les œuvres de fiction, au cinéma, mais surtout à la télévision, diffusent (...) une idéologie clandestine visant évidemment à domestiquer le citoyen". Au cours d'un débat de quatre heures, Fidel Castro a souligné que "la séduction exercée par l'empire grâce aux moyens de communication ne suffit pas", ce qui explique, selon lui, les efforts pour augmenter le budget militaire des Etats-Unis. Comme pour confirmer, s'il en était besoin, l'importance de l'ouvrage, Ricardo Alarcon, président du Parlement cubain et membre de la direction castriste qui connaît le mieux les Etats-Unis, a également été mis à contribution. Dans sa présentation du livre de Ramonet, il a affirmé que la mondialisation néolibérale mettait en péril l'existence même de l'humanité.

Représentant le gouvernement français, Michel Duffour, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la culture, a écarté les critiques de ceux qui contestaient la participation de la France. Il ne faut pas "ajouter au blocus économique un boycott culturel", a-t-il déclaré à l'AFP, faisant allusion à l'embargo américain en vigueur depuis plus de quarante ans. "Qu'il y ait des remarques à faire sur le système cubain est une chose. J'ai moi-même été amené dans mes discussions avec mes interlocuteurs à évoquer la situation des droits de l'homme", a ajouté Michel Duffour. "Nous savons que nous devons défendre partout les mêmes valeurs, le même idéal, la même définition et les mêmes moyens donnés à la diversité culturelle. Nous savons que la liberté de créer et d'écrire cette liberté si chère à Victor Hugo et à Marti, à Carpentier et à Baudelaire, à Guillen et à Breton, est un des droits et un des devoirs fondamentaux de la personne humaine", a affirmé le secrétaire d'Etat dans son discours lors du colloque sur le "dialogue culturel France-Cuba".

Dénonçant la "double absence des intellectuels dissidents cubains et des auteurs interdits de séjour par les autorités de La Havane", un groupe d'une centaine d'exilés, parmi lesquels la romancière Zoé Valdés, et d'intellectuels français ont lancé depuis Paris un appel pour la liberté d'expression à Cuba. Accusant les autorités de l'île d'imposer "le règne d'une pensée unique"et de harceler "des auteurs, journalistes et bibliothécaires indépendants", les signataires de l'appel demandent que "tous les Cubains, à l'intérieur et en exil, aient librement accès à l'échange d'idées par l'édition et le voyage" et réclament "la liberté de diffusion des livres à Cuba, sans entrave ni censure".

L'organisation Reporters sans frontières (RSF) a également protesté contre la participation française, estimant "inconcevable que la France, qui prétend être la patrie des droits de l'homme, accepte d'être l'invitée d'honneur d'un tel événement culturel". RSF a demandé à Michel Duffour d'intervenir auprès des autorités cubaines pour obtenir la mise en liberté "immédiate et inconditionnelle" du journaliste indépendant Bernardo Arévalo Padron, condamné en 1997 à six ans de prison pour outrage à Fidel Castro.

Jean-Michel Caroit


 

Le Monde daté du 17.2.2002


 
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