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CUBA

 

Cent ans de servitude
 
L'histoire de l'île depuis son indépendance en 1902 a basculé d' une oppression organisée par les Etats-Unis vers une soumission nationale et individuelle au pouvoir de Fidel Castro. Retour sur l'essence d'une dictature tropicale.

L'histoire de Cuba tient dans deux vérités énoncées au milieu du siècle dernier. "Sans sucre, il n'y a pas de pays", observe José Manuel Casanova, au nom de l'association des producteurs de sucre. "A cause du sucre, il n'y a pas de pays", réplique Raul Cepero Bonilla, l'un des meilleurs économistes d'une île vouée à la canne.

A Cuba, le sucre a toujours été une drogue. Il assure un revenu vital pour le pays, mais il immobilise capitaux et travailleurs au service d'une denrée peu rentable. Depuis le premier projet de diversification de l'économie, rédigé en 1923, la tentation n'a jamais disparu d'arracher l'île à sa dépendance sans que nul n'ose tenter ce sevrage, pas même la Révolution castriste. La seule occasion où Fidel Castro a évoqué sa retraite politique date, du reste, de l'échec de la récolte de 1970, inférieure au record projeté : dix millions de tonnes.

Voilà pourquoi il faut tenir pour une révolution le démontage du secteur sucrier entrepris à Cuba depuis un an. Même si la chute du chiffre d'affaires, devenu moindre que ceux du tourisme et du nickel, imposait la mesure, fermer 70 des 156 centrales, licencier 100 000 travailleurs (sur 4 millions d'actifs), reconvertir plus de la moitié des terres cultivées de l'île, revient à trancher un lien remontant aux premiers temps de la colonisation.

Le sucre effacé, reste le pays, un pays comme il n'en existe aucun autre puisqu'en moins d'un siècle il a été colonie de l'Empire espagnol, néo-colonie américaine, démocratie parlementaire, dictature, démocratie populaire, avant d'aboutir au régime actuel de La Havane. Ce tourbillon brouille d'autant plus l'identité de Cuba que le gouvernement cubain refait sans cesse le tri du passé. Dans les documents officiels, 2003 est ainsi "L'année des glorieux anniversaires de Marti et du Moncada". José Marti, "apôtre de l'indépendance" cubaine, est né il y a 150 ans ; l'attaque de la caserne Moncada, il y a 50 ans, à Santiago de Cuba, est la première action armée des partisans de Fidel Castro.

Regrouper les deux célébrations aujourd'hui, c'est placer un rebelle du XIXe siècle au côté d'un dirigeant du XXIe siècle. Un rapprochement douteux. Avec sa statue érigée partout à Cuba, sa moustache, son regard noir d'énamouré, ses poèmes où furent puisés les vers de la chanson Guantanamera, Marti avance sans détour vers un destin de martyr de l'indépendance qui le fait mourir trop tôt pour voir flotter le drapeau cubain sur l'île. A l'inverse, Castro, avec ses discours insatiables, sa barbe, son noir regard de prédateur, joue de son pouvoir depuis si longtemps que, pour rester dans le domaine de la chanson, il a interdit les Beatles et envoyé des jeunes chevelus dans des camps de rééducation avant d'inaugurer, trois décennies plus tard, une statue de John Lennon à La Havane.

Même leurs cris patriotiques séparent Marti et Castro. Le premier conclut ses adresses par "l'indépendance ou la mort"- parfois "l'indépendance ou le sépulcre" car il est poète -, mais ne varie jamais sur le fond. Le second arrive en politique au cri "La liberté ou la mort" poussé par les opposants au dictateur Fulgencio Batista, mais une fois au pouvoir il crée "La patrie ou la mort", puis "Le socialisme ou la mort", et même "Le marxisme-léninisme ou la mort" à l'époque de la Perestroïka, avant de revenir à "La patrie ou la mort". Il trace un cercle quand son aîné tire une ligne droite.

"Le Cubain, ou il fait trop court ou il fait trop long", observait le Dominicain Maximo Gomez qui dirigeait dans l'île les troupes combattant pour l'indépendance. C'est ce que font ces deux anniversaires, proches et lointains à la fois. En fait, cette année, ce qui traduit l'essence de Cuba se trouve à mi-chemin : il s'agit d'un centenaire. Celui de la signature, en 1903, de trois accords entre Cuba et les Etats-Unis : un traité autorisant Washington à intervenir dans l'île pour soutenir un gouvernement "adéquat" (Permanent Treaty) ; un autre traité aménageant le commerce bilatéral en faveur des Etats-Unis (Reciprocity Treaty) ; et un contrat de location d'une durée illimitée de la base militaire de Guantanamo (Lease Agreements).

Un an après son accession à l'indépendance, Cuba avait placé sa vie politique sous embargo, bridé son champ d'activité économique et amputé son intégralité territoriale. Cette servitude imposée au pays depuis l'étranger existe encore un siècle plus tard, mais elle s'exerce maintenant depuis l'intérieur de l'île, et pèse individuellement sur chaque Cubain. L'ancienne tutelle des Etats-Unis sur Cuba a pour écho la tutelle présente du régime sur les Cubains. L'histoire de l'île depuis son indépendance s'inscrit dans ces cent ans où une servitude internationale et générale devient nationale et individuelle.

Un seul des trois accords demeure : celui sur Guantanamo, intact, inique. Le traité sur l'économie est mort après recyclage dans le conflit Est-Ouest : le sucre que recevaient les Etats-Unis était devenu l'apport cubain au Comecon, l'organisation commerciale du camp socialiste. Quant à la tutelle de Washington, elle a été abrogée de droit en 1934 et dans les faits en 1961 lors du débarquement militaire repoussé dans la baie des Cochons. Les trois textes ont eu un sort distinct mais ce qu'ils partageaient, l'idée d'une liberté octroyée et amputée, perdure à la façon d'une malédiction séculaire.

Si le Permanent Treaty imposait à Cuba un exécutif qui plaise aux Etats-Unis, c'est désormais l'ensemble de la vie politique qui est dictée aux Cubains. Pour eux, rien d'ouvert : parti unique ; un seul candidat par siège de député ; presse d'Etat au contenu "conforme aux fins de la société socialiste" ; accès sélectif au réseau Internet, etc.

Le pouvoir produit décisions, idées et slogans, comme il détermine l'accès au marché et la gestion de la force de travail en cédant des secteurs de son économie aux investisseurs étrangers. Ils auraient mauvaise grâce à se plaindre : de même que le Reciprocity Treaty favorisait les Etats-Unis dans le commerce cubain, aujourd'hui ce sont les résidents étrangers les plus favorisés. Eux seuls peuvent créer une entreprise ou se faire embaucher sans passer par l'Etat.

Quant à la base militaire de Guantanamo, elle reste évidemment inaccessible à tous. Mais, pour les Cubains, il s'y ajoute des hôtels, des établissements hospitaliers et toute la presqu'île de Varadero, devenue une réserve à touristes, qui sont accessibles aux seuls étrangers. A La Havane même, des quartiers "congelés" sont interdits à la résidence pour les non-membres de l'armée ou du personnel politique dirigeant. Et toute l'île reste fermée à certains Cubains puisque l'entrée des citoyens revenant de l'étranger est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation.

A l'inverse, comme les Cubains vivant dans l'île ont besoin d'un permis pour en sortir, des opposants à Fidel Castro rappellent que les camps de concentration ont été créés à Cuba. La formule exacte, imaginée en 1895 par Arsenio Martinez Campos, commandant de la garnison espagnole à Cuba, était la "reconcentration" des gens des campagnes dans des camps pour les tenir loin des indépendantistes. La mort par milliers des "reconcentrados" écarte l'analogie avec Cuba aujourd'hui : ce que la population endure relève plutôt d'un absurde exaspérant, d'une menace qui ne tourne au tragique que de façon épisodique.

La chronique de la Révolution cubaine est mesquine : saisie de la machine à coudre d'une femme qui racommode pour ses voisins ; poursuite pénale du bricoleur captant le signal satellite de télévisions étrangères ; recensement des micro-ordinateurs par les agents de la sécurité d'Etat ; arrestations incessantes des mangeurs de protéines animales pour abattage clandestin d'animaux. Tout est délit quand le pouvoir veut tout régir d'un quotidien de pénuries.

Selon le journal espagnol El Pais, le Centre d'études psychologiques et sociologiques, rattaché au comité central du Parti communiste, a établi que plus de 90 % des familles vivant à Cuba ont des activités illicites. C'est ce peuple de "délinquants" qui répond aux mobilisations politiques, vote en bloc aux scrutins et parle dans les assemblées convoquées par le parti ou le syndicat. Il possède, selon la terminologie officielle, une "double morale" afin d'être révolutionnaire tout en escroquant les institutions de la révolution. Une sémantique savoureuse le dit "présent, absent" à son travail et parle de desvio (erreur d'acheminement) ou faltante (manquant à l'inventaire) en cas de vol. D'ailleurs, le verbe voler ne s'utilise pas : on dit résoudre.

Les raisons de sourire ne manqueraient pas si Cuba n'était cette île où la police, les services de sécurité et les comités de défense de la révolution sont mis à contribution pour repérer les contre-révolutionnaires. La noirceur de ce travail tient dans la première phrase d'un livre-témoignage, Informe contra mí mismo, de l'écrivain Eliseo Alberto : "C'est à la fin de l'année 1978 qu'on m'a demandé pour la première fois de dénoncer ma famille."

Des drames intimes, des humiliations répétées ont laissé leur sel sur les blessures ouvertes par le harcèlement du régime. Il est significatif que les deux meilleurs cubanologues américains, le politologue Jorge Dominguez et la sociologue Marifeli Perez-Stable, publient respectivement cette année un projet de révision de la Constitution et une étude sur les possibilités de réconciliation entre la communauté des exilés et les habitants de l'île. En partant de points opposés, des institutions et de la population, ils en arrivent au fond à la même question : celle de la nation cubaine. Après quatre décennies et demie de Révolution, les Cubains gardent-ils un destin commun ?

En leur sein, la division la plus visible sépare la population insulaire et celle de l'exil. Dix pour cent des Cubains vivent hors de l'île. Ceux établis dans le sud de la Floride appartiennent à la première puissance économique de la planète. Ils sont les mieux nantis au sein d'une communauté d'immigrés d'Amérique latine dont le revenu annuel médian est de 31 181 dollars. Dans l'île, le salaire annuel moyen est de 95 dollars ; la pension de retraite, 45 dollars. Tous les Cubains ne vivent pas dans le même monde. Partout, en revanche, Noirs et mulâtres sont frustrés du pouvoir politique. Aucun ne siège à la direction des organisations de l'exil. Et aux plus hauts échelons de la révolution, comme Fidel Castro a su lui-même le relever, les dirigeants sont avant tout des Blancs. La nation cubaine est en cela unique : en majorité noire et mulâtre, mais dirigée par des Blancs.

Dans l'île, la frontière entre militaires et civils devient aussi un cas à part : les "citoyens-soldats" qui, selon le concept de Jorge Dominguez, allaient et venaient entre haut commandement et gouvernement entrent désormais dans les entreprises. Pour contrôler l'économie de marché créée avec des capitaux étrangers, le pouvoir place des officiers dans l'hôtellerie, les transports ou l'import-export et confie des firmes au ministère des forces armées révolutionnaires. En cas de transition économique, le personnel en uniforme tient les meilleures places dans un pays où, à l'exception de seize années au début du XXe siècle, le président est toujours un militaire.

Ces tendances frappent d'autant plus que la démographie stagne. Depuis les années 1970, Cuba enregistre trop peu de naissances pour espérer maintenir sa population. Elle ne croît plus qu'à 0,2 % par an. En 2025, elle sera la plus âgée d'Amérique latine et commencera à diminuer en nombre. Une nation de vieux, qui tient les gens de couleur loin du pouvoir et offre le meilleur sort aux militaires est-elle un modèle pour les peuples du tiers monde ?

Répondre renvoie au débat sur l'éducation et la santé, la vitrine sociale de la révolution. Les tenants du "Cuba sí" célèbrent cette politique. Ceux du "Cuba no" rétorquent : "On ne peut pas passer sa vie à étudier ou à être malade." Le Programme des Nations unies pour le développement refuse pour sa part d'arbitrer puisque Cuba entre et sort du classement des indices nationaux du développement humain"faute de chiffres fiables".

Le régime porte un soin extrême à son image sociale. Il n'exhibe pas ses bidonvilles, les llega y pon (littéralement, arrive et pose). Il n'avoue pas davantage que la productivité du secteur sucrier était plus faible à la chute du mur de Berlin qu'en 1945. Un peuple qui vivait le "44 heures travaillées, payées 48" dès la seconde guerre mondiale a excipé de son droit à la paresse sous le castrisme. "Ils font comme s'ils travaillent et l'Etat comme s'il les paye", chantait Pedro Luis Ferrer à la fin des années 1980. Il faudra écrire cette histoire-là pour savoir tout de la vitrine sociale.

Quant à la qualité d'ensemble de l'œuvre révolutionnaire, on peut en dire ce que Chou En-Laï affirmait des conséquences de la Révolution française : " Trop tôt pour le dire. " Dans l'étude classique de Marifeli Perez-Stable, La Révolution cubaine, deux critères sont pourtant établis : "... Les origines de la révolution se trouvent dans le mouvement d'indépendance contre l'Espagne et dans la frustration des aspirations placées dans la République." Sur ces points-là, les faits parlent en regard d'une attente explicite : les Cubains voulaient lors de l'installation du régime révolutionnaire un gouvernement qui sache enfin ce qu'indépendance et démocratie veulent dire.

"Notre philosophie politique est la démocratie représentative et la justice sociale", explique en anglais un jeune Fidel Castro dans un fameux reportage filmé du temps de la guérilla. L'échec dans la mise en œuvre de cette démocratie lui appartient. D'emblée, il s'est voulu caudillo - on disait plutôt Lider Maximo - à la façon de Bolivar, San Martin ou O'Higgins au XIXe siècle, avec l'autorité civile et militaire rassemblée dans sa personne pour faire avancer un peuple au nom de l'Histoire. Relayée par une classe dirigeante et une bureaucratie socialiste, la méthode a produit l'entropie totale des pouvoirs.

A Cuba, les mêmes personnes siègent à l'Assemblée et au gouvernement, dirigent les juges, l'armée, et font tourner l'administration. Le pouvoir cubain décide de tout, même du rêve : le Père Noël est interdit, comme les romans de Corin Tellado, la "littérature des cœurs brisés" en Amérique latine. Il préfère ses idées au réel : deux fois déjà, au nom de la planification étatique, les marchés maraîchers, où des agriculteurs vendent leurs produits, ont été interdits avant d'être chaque fois rétablis face à la pénurie.

Sans recourir toujours à la lettre de cachet qui précipita Hubert Matos en prison, ou au procès stalinien qui dépêcha Arnaldo Ochoa vers le peloton d'exécution, ce pouvoir allonge la liste de ceux qui, ayant côtoyé Fidel Castro, sont limogés : Humberto Perez, Osmany Cienfuegos, Carlos Aldana, Roberto Robaina... A chaque disgrâce, l'étonnement de l'opinion internationale - toujours moindre, il est vrai - rappelle la myopie politique qui servit longtemps le régime : l'envie de voir une révolution là où, dès le premier moment, s'installait la dictature. Cinq jours au pouvoir ont suffi à Fidel Castro pour mettre fin à l'indépendance des juges ; six, pour rétablir la peine de mort et vingt-deux pour suspendre l'habeas corpus, créer des tribunaux d'exception et interdire tout recours contre le gouvernement.

L'historien britannique Hugh Thomas, auteur en 1971 d'une monumentale histoire de Cuba, estime que l'île a vu naître le premier régime fasciste de gauche : "Je veux dire par là, écrit-il une dizaine d'années plus tard, un régime avec des objectifs totalitaires orientés à gauche, établi et soutenu par les méthodes du fascisme." L'échec n'est donc pas simple mais double : les Cubains n'ont pas reçu la démocratie attendue et leur société civile, fonctionnant sans tutelle d'un pouvoir politique, a été dissoute.

Sans y paraître, le guitariste américain Ry Cooder a laissé deviner ce gâchis en faisant applaudir dans le monde entier les artistes du Buena Vista Social Club qui, à Cuba, n'avaient ni statut officiel, ni scène où jouer, ni même, dans le cas du pianiste Ruben Gonzalez, la possession d'un instrument à domicile.

La Révolution a ainsi encadré, parfois prohibé, et toujours dégradé des pans entiers de l'identité cubaine : l'architecture, la cuisine, la radio, le cabaret, le travail du bois, l'élevage des coqs de combat, la fabrication du rhum, etc. Parmi ces pertes figure une vie citoyenne inaboutie mais qui connut de vraies respirations avant d'être gangrenée par la violence, la corruption et l'intolérance d'une classe politique indigne de ses institutions républicaines. A l'image de Fulgencio Batista, vainqueur en 1940 de l'élection présidentielle la plus honnête de l'histoire de Cuba et auteur du coup d'Etat le plus rapide : 77 minutes en 1952.

La presse alors était plurielle : à vingt-cinq reprises avant que Fidel Castro ne vienne au pouvoir, elle a publié ses interventions contre Batista qu'il a fini par renverser ; elle a reproduit ses manifestes révolutionnaires quand il était un prisonnier puis un guérillero privé de vie publique. En regard, les 480 années de prison infligées, en juin dernier, à 26 journalistes indépendants de l'île montrent avec quelle poigne la Révolution serre les opinions.

Cuba se dit en guerre car soumis à l'embargo de la première puissance du monde. Toute dissidence est une trahison dans le combat pour le second critère : l'indépendance, où la révolution a connu un succès tardif mais total fin 1991, à la disparition de l'Union soviétique. Pour la première fois, Cuba n'était plus colonie de l'Espagne ou néocolonie américaine, ou encore pays satellite de l'Union soviétique, mais une île ; une île seule et qui a aussitôt commencé à dériver vers la "yuma".

L'étymologie du mot est inconnue : les Cubains abrégeant tout, elle tient probablement aux deux premières syllabes de United States of America. Force est d'observer donc que Cuba se rapproche de la "yuma". La monnaie américaine a cours légal dans l'île depuis dix ans. L'aide privée envoyée depuis l'exil, essentiellement de Floride, vers des familles insulaires forme le quart des ressources externes du pays, selon la Commission économique pour l'Amérique latine (Cépal). La fêlure ouverte en 2001 dans l'embargo américain pour permettre à Cuba d'importer des denrées s'élargit. L'île est, en 2003, le 28e acheteur d'aliments américains. A Washington, le Trésor a même validé cette année des règlements directs en dollars d'entreprises cubaines.

"Avance Lincoln, avance, car tu es notre espérance", chantaient les esclaves dans l'île quand la guerre de Sécession faisait rage aux Etats-Unis. Leur chant se fait toujours entendre : jamais, depuis quarante ans, relève The New Yorker en février 2001, il n'y a eu autant d'Américains à La Havane. Un dialogue Sud-Nord reprend mezza voce. Le capitaine de la Navy en charge de la base de Guantanamo, tout à l'est de l'île, parle régulièrement avec le commandant en second de l'armée cubaine d'Orient. Même Fidel Castro a mis un Américain au service de son image : le réalisateur Oliver Stone, auteur du documentaire Comandante.

C'est au point que Washington se méfie. La vraie politique cubaine des Etats-Unis, pour le jour où la révolution flanchera, est révisée chaque année. Elle a un nom : "Distant Shore" (rivage lointain). Il s'agit, par l'action des agences fédérales et de l'armée, d'empêcher une arrivée massive de Cubains en Floride. Pour éviter qu'un peuple cherche dans le voisinage dicté par la géographie un remède à l'histoire de cent ans de servitude.

Jean-François Fogel

Le Monde daté du 11 septembre 2003


 
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