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Les Américains ont modifié leurs opinions vis-à-vis des Cubains 

ANALYSE : Un drame qui contribuera peut-être à rétablir le dialogue entre les deux pays 

 
 
 
Patrice de Beer 
Mis à jour le mardi 11 avril 2000

WASHINGTON de notre correspondant 

La question cubaine demeure un paramètre non négligeable de la politique intérieure des Etats-Unis, surtout en année électorale. Le vote cubano-américain représente 7 % de l'électorat de Floride, Etat-clé dans la course à la Maison Blanche avec 25 délégués, juste derrière la Californie, New York et le Texas. Le recensement en cours devrait permettre à la Floride de devancer le Texas pour devenir le troisième Etat le plus peuplé de l'Union. En 1980, Bill Clinton avait attribué sa première défaite comme gouverneur de l'Arkansas aux émeutes de réfugiés cubains hébergés par Jimmy Carter dans des camps de fortune dans son Etat. En 1996, le président Clinton avait su faire les promesses nécessaires pour convaincre les Cubains de Miami - qui avaient voté George Bush en 1992 - de passer dans le camp démocrate.

Cette année, George W. Bush - fils du précédent, gouverneur du Texas et et frère de Jeb, gouverneur de Floride depuis 1998 - lorgne sur le vote hispanique pour l'emporter sur son rival Al Gore. A l'exception des réfugiés cubains, les Hispaniques - dont le nombre devrait dépasser dans les années à venir celui des Noirs - sont généralement de sensibilité démocrate. « W » Bush compte en particulier sur les Cubains de Miami, qu'il a courtisés depuis le début de l'affaire Elian en soutenant leur tactique visant à utiliser toutes les ficelles légales pour empêcher Juan Miguel Gonzalez de ramener son fils à Cuba.

Le vice-président Gore avait sans doute pensé trouver la parade et cru réaliser une bonne affaire électorale quand il a pris le parti des anticastristes et le contre-pied d'une administration à laquelle il appartient toujours. Un tel opportunisme se serait peut-être révélé payant il y a quelques années. Cette fois, son geste a été jugé par la plupart - y compris en Floride et chez les démocrates - pour ce qu'il était. Déjà considéré par beaucoup comme un candidat prêt à tout dire pour gagner des voix, il risque d'avoir à en payer le prix, et pas seulement en Floride, un Etat qu'il croit à sa portée ou du moins où il espère mener la vie dure à « W ». D'où ses explications embarrassées et le silence qu'il a gardé sur le sujet lors de sa visite sur place à la fin de la semaine dernière.

  LA BÉVUE D'AL GORE 

Les contacts qu'a eus Al Gore, quand il faisait partie des Jeunes démocrates, à Harvard, avec Jose Garcia-Pedrosa, devenu l'un des avocats du grand-oncle d'Elian, pourraient aussi expliquer sa bévue. Mais Al Gore a mal jugé une opinion qui, en dehors de Little Habana, est aux deux tiers favorable à ce qu'Elian rejoigne son père. Les républicains eux-mêmes, qui ne manquent pas une occasion de contrer la Maison Blanche, n'ont pas donné suite à l'agitation de leurs extrémistes, qui souhaitent que le Congrès accorde à Elian la nationalité américaine ou le droit de résidence. Steve Largent, un des représentants les plus conservateurs, a demandé que le respect de la famille, si cher à la droite américaine, soit aussi appliqué quand il s'agit d'un père cubain.

Mais le drame du petit garçon contribuera peut-être aussi à rétablir le dialogue entre les Etats-Unis et Cuba. Comme l'explique Scott Armstrong, qui avait aidé à rompre la glace dans le monde du base-ball en organisant la visite de l'équipe des Orioles à La Havane, il a fourni l'occasion au gouvernement cubain d'apparaître respectueux de la législation américaine. D'autre part, tout en maintenant un embargo vieux de quarante ans et en étant tenue par une législation anticastriste léonine - en particulier la loi Helms-Burton de 1996 qui pénalise les sociétés étrangères faisant des affaires avec Cuba -, l'administration Clinton a fait quelques petits pas vers une diminution de la tension : autorisation de la vente de produits alimentaires et de médicaments, libéralisation des autorisations de voyage, augmentation des vols charter.

L'isolement actuel de la communauté cubaine de Miami a contribué à cette baisse de tension. L'affaire Elian pourrait marquer un tournant des relations entre La Havane et Washington : l'agressivité dont ont fait montre les Cubano-Américains risque de se retourner contre eux et, pour la première fois, l'opinion qui a sympathisé pendant des décennies avec le sort les réfugiés cubains installés à Miami commence à regarder cette communauté d'un oeil plus froid. 

Fidel Castro a tout à gagner à cette affaire qui a fait d'un dictateur le défenseur de la justice et de la famille. Elle satisferait les milieux économiques qui voient avec envie leurs concurrents européens ou latino-américains s'installer à Cuba ou y investir. Elle ferait le bonheur d'une agriculture en crise de débouchés qui rêve d'y vendre son riz ou son maïs. Le président de la Chambre de commerce américaine a visité La Havane en 1999. Et certains hommes d'affaires conservateurs voient plus loin que leurs intérêts commerciaux en estimant qu'une ouverture de Cuba au monde extérieur serait bien plus efficace que l'embargo pour renverser le régime castriste.
  Patrice de Beer 
 
 

Le Monde daté du mercredi 12 avril 2000

 
 
 
 
 
 
 
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