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La guerre sainte
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 LE MERCREDI 12 AVRIL 2000 - ÉDITION INTERNET

 

 

«Je vais à Miami pour Elian », ai-je répondu au douanier qui me demandait ce que j'allais faire aux États-Unis. « Alors, qu'est-ce que vous en pensez, off the record bien sûr ? » qu'il a ajouté. 

Ce que j'en pense ? Que cette affaire n'a rien à voir avec un enfant sauvé des eaux, plus rien à voir. Qu'avant le glissement politique, il y a d'abord eu le glissement abusif d'une société de droit où des avocats, une fois de plus, se renvoient la balle et font la loi. Ce que j'en pense aussi : qu'Elian doit être rendu à son père qui, lui, décidera s'il reste ou s'en retourne à Cuba. Quant à sa vie, elle portera à jamais la cicatrice d'une curieuse guerre sainte. 

D'ailleurs ici - et il suffit de jeter un œil à la une des journaux - tout le monde s'est fait à l'idée que le petit sera rendu à son père. L'opinion publique américaine, bien sûr, mais même les anti-castristes qui, depuis des semaines, font le pied de grue devant la petite maison blanche désormais célèbre de l'oncle d'Elian. 

* * * 

Cette partie sud de Miami pourrait tout aussi bien être un quartier de Caracas ou de Bogota. La même chaleur étouffante crachée par un soleil qui fait des bonds sur le bitume, les mêmes avenues, la même pollution, les mêmes commerces : Espana Autobody, Escuela de trafico, Restaurante Rancho Luna... Pas étonnant, 52 % des deux millions d'habitants du comté sont hispanophones, dont des centaines de milliers de Cubains qui ont fui Castro et son régime. 

En s'enfonçant un peu, en quittant le boulevard, quelques rues à peine, à deux pas, il y a un petit quartier résidentiel interdit à la circulation par des flics qui, ma foi, ont l'air d'en avoir plus que ras le bol de tout ce cirque. C'est là qu'habitent les Gonzalez. C'est là, juste en face, que toutes les télés de l'Amérique ont monté leur tente, occupant les trottoirs, les entrées de garage, tout. Là que les gamines de l'École Lincoln-Marti, les petites camarades d'Elian, sont venues faire leur petite pirouette sous les projecteurs et remettre une carte d'amour géante avec écrit dessus : Eliancito te queremos mucho. Là que les anti-castristes poursuivent leur résistance sous l'effigie de Fidel, entre les prières et les slogans politiques dont celui-ci reprenant une phrase de la ministre de la Justice Janet Reno : « Seul le père peut parler pour Elian. » Et qui donc parle pour le père ? Vous, Clinton, Castro... » 

Pour Jennifer Guerras qui pourtant n'a jamais vu Cuba, ni ses grands-parents, ni ses oncles, c'est une révolte passive, non violente. L'étau se resserre chaque minute un peu plus, elle en est consciente, mais on va rester, dit-elle, comme des pierres pour leur faire comprendre. 

Mais comprendre quoi ? 

Que Castro enfonce d'un dernier coup de botte les enfants qui se noient et que jamais personne ne s'en est préoccupé. 

Cette histoire, je vous le répète, n'a rien à voir avec un gamin sauvé des eaux. Pour certains, c'est une vengeance au cri trompeur de liberté. Pour d'autres, c'est l'entonnoir politique d'un blocus aussi absurde qu'inhumain qui dure depuis 40 ans. 

C'est une lutte inégale dans laquelle sont engagés deux mondes incompatibles : d'un côté, le légalisme rationnel et de l'autre, le passionnel guidé par la rancœur entretenue contre un régime conspué. 

D'ailleurs, aussi étrange que cela puisse paraître, on peut mesurer ici la teneur religieuse de l'affrontement. Comme, par exemple, lors de cette grande messe célébrée hier soir à la mémoire des naufragés. Ou encore comme cette manifestation de prières à laquelle participaient lundi des dizaines de milliers de fidèles. Dans la Petite Havane, on évoque sans honte le miracle. On le souhaite et, guidés par la foi des croyants, on l'attend. Prêts à sacrifier l'agneau, on s'en remet à Dieu pour combattre celui qu'on croit être le diable. 

fnuovo@journalmtl.com